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Paz, Paz.

Bertrand Cantat effectue un retour en catimini, sur la pointe des pieds. Trois ans après Amor fati et sept après Horizons (Détroit), il revient avec un projet et un album intitulés Paz qui, le moins que l’on puisse dire, sort des sentiers battus.
Un album de sept compos conçu et réalisé en collaboration avec le romancier Caryl Férey. Paz n’est autre que le titre d’un ouvrage de ce dernier dont l’action se déroule en Colombie, une saga familiale sur fond de guérilla.
Bertrand et Caryl se connaissaient déjà pour s’être côtoyés en 2017, il s’agissait là d’une mise en scène de Condor, titre d’un autre roman de Férey paru en 2016 et ayant pour cadre le Chili, des bas-fonds de Santiago au désert d’Atacama.

 

La création de l’album Paz a nécessité un voyage de l’auteur/compositeur et du romancier sur le terrain, en Colombie, au plus près de l’action qui a constitué le roman Paz écrit en 2019.
Pourtant, même si l’ouvrage de Caryl Férey a inspiré cet effort de composition, Paz n’en est nullement une adaptation.

Sur les sept morceaux de l’opus, quatre ont été composés par Bertrand Cantat (Babel, La dune, Fleur de bunker, Paix éclair) et trois de Caryl Férey (Diana, Ta peau, Détruit/cassé).
Dans cet album, on est bien évidemment loin, d’un point de vue strictement musical, du rock tonitruant de Noir désir entendu sur Tostaky, Un jour en France, Comme elle vient ou encore L’homme pressé mais les textes n’ont rien perdu de leur saveur : ils touchent en plein cœur et prennent littéralement aux tripes. Chez Bertrand, à la lecture de ses compos, on sent l’émotion transpirer à fleur de peau comme dans A ton étoile ou le morceau Des visages des figures sur l’album éponyme, une écriture et un phrasé très proches de Brel, voire de Léo Féret.
Paz débute néanmoins de façon bizarre avec Babel, un monceau de claviers intempestifs avec la voix de Bertrand Cantat déclinant, le plus clair du temps, le mot « paix » en moultes langues, de l’anglais à l’israélien. On se demande vraiment ce que ce Babel (mot que l’on ne cite pas soit dit en passant) vient faire au milieu de ces fabuleux textes dignes des plus grands compositeurs car, fort heureusement, ceux-ci reprennent leurs droits.
C’est La dune et ses somptueux arrangements musicaux tout en riffs grondants de guitare qui, tambour battant, inaugure cette série de chansons à textes. Les mots sont clamés par Bertrand tel un mantra, une diatribe positive. « ô construisons des digues et des palais refuges, basta la vie volée, privé de tout ce qui serait… la vie. » Du Cantat dans le texte, parfois sombre mais aussi bourré d’espoir, des mots percutants comme lui seul peut en écrire.
En parlant de mots qui transpercent l’âme, Diana arrive et nous étreint après une seule écoute, de ces compos d’anthologie qui laissent en nous une trace indélébile. Musique lente et dépaysante sur de fabuleuses boucles synthétiques, comme quoi l’électronique n’a pas que de mauvais côtés. Et ces mots qui se marient si bien avec la musique, certainement une déclaration d’amour adressée à la pourtant défunte princesse Diana :
« je t’aime dans le désordre au revers de la horde de vents, à l’unisson, l’amour, combien de divisions. » Un requiem également car il est dit plus loin :
« elle dort recroquevillée dans un lit de fakir, les poings serrés comme si s’y gardaient des saphirs. Diana mon trésor, beauté de bras, regarde comme ils te soulèvent bien au-delà. » On imagine aisément, en entendant la voix de Bertrand, un Jacques Brel poser sa voix sur cette musique et même, dans un registre plus rock, Philippe Prohomme de 2002 à 2004. Hommage à Diana encore avec ces mots :
« princesse de sel sous la pluie bientôt ne sera plus, qu’une traînée de poudre, indigo. » Détruit/cassé, très court et truffé de cordes, nous sort à regrets de l’engourdissement causé par Diana, une torpeur à bon escient dans laquelle on se complaisait pourtant. Détruit/cassé n’est pas la meilleur compo de cet album mais les mots tranchent dans le vif :
« j’acharne des chaînes et des foudres, détruites cassées … plus rien ne bouge à l’ombre, que des cris cassés. » Ta peau fait apparaître de nouveau la guitare et une orchestration à la Lian Ray accompagnant les mots de Caryl Férey.
Retour aux ambiances musicales langoureuses et aux textes prenants de Bertrand Cantat sur Fleur de bunker :
« enterre, déterre la hache de guerre. On ne peut pas toujours s’aimer. Fleur de bunker, à votre bon cœur… Tout ira bien. » Comme à son habitude, Bertrand Cantat joue sur les mots et abuse avec délectation de fortes rimes.
Paix éclair est le morceau le plus long (neuf minutes) juste devant Babel (sept minutes), à l’inverse de Diana et de Détruit/cassé qui sont les plus courts. Cette composition fleuve est aussi la plus rythmée de ce disque, nous replongeant dans l’époque Noir désir de Des visages des figures par les riffs de guitare, les mêmes que l’on retrouve par exemple sur A l’envers, à l’endroit. Nouvelles psalmodies rageuses de Bertrand entre français, anglais « go fast, go crash » et italien « escarabouia tutti. » La musique prédomine tout de même sur le chant, pratiquement inexistant sur ce Paix éclair.

Paz est la confirmation, s’il en était encore besoin, du véritable talent artistique de Bertrand Cantat. Les nostalgiques de Noir désir le boycoteront peut-être mais qu’à cela ne tienne, les textes sont là et bien puissants. La musique n’est pas faite que de gros riffs de guitare et de batteries.
Pour le moment, l’album n’est paru qu’en version numérique, une version physique est espérée dans les prochains mois mais il ne sert à rien d’attendre, rendez-vous immédiatement sur les plateformes d’écoute en streaming et Paz, soyez-en certains, ne vous décevra pas.
Bertrand, Caryl et leurs géniales compos vous y attendent de pieds fermes !

 

Note de 9 sur 10.

Jean-Christophe Tannieres

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