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The Devils, Beast must regret nothing

Enfers et damnations, ils sont de retour !

Et comment aurions-nous pu les oublier de sitôt ?! Lapant le sol douteux, se crachant dessus, pratiquant l’onanisme scénique avec une Gibson SG, s’introduisant le micro au plus profond du gosier comme dans un remake cisalpin de Lux Interior, … J’en oublie certainement, mais ce mardi 14 mai 2019 n’était pas un soir comme les autres à la Poudrière ! La petite salle belfortaine avait flambé sous les assauts répétés des Cramps à la sauce napolitaine. Et dire qu’il ne s’agissait que de la première partie de l’excellentissime Jon Spencer ! L’extase et l’outrance réunies dans un même lit, nous découvrions sur le tard The Devils (live report ci-joint). Deux années plus tard, la bête est à nouveau en liberté, sévissant sans aucun scrupule ; « The devil inside » chantait l’autre quelques années avant son trépas… Les orgies sous le regard amusé du Malin et autres bacchanales louées par la doublette blasphématoire sont au menu de leur troisième opuscule, Beast must regret nothing, chargé de 11 titres débridés et transgressifs aux formats globalement courts.

The Devils, le 14 mai 2019, La Poudrière, Belfort, benoît GILBERT

 

Pour connaître la genèse de cet évangile selon Erica et Gianni, il faut remonter le temps jusqu’à l’automne 2019.  C’est à l’issue d’une tournée par-delà les Pyrénées pour les Italiens et de la présence simultanée sur le sol européen d’Alain Johannes qu’un rapprochement s’effectue.  Jusqu’alors, la bête à deux têtes formée en 2015 s’en était remise pour ses deux premiers brûlots (Sin, You Sinners! en 2016 et Iron Butt l’année suivante, chez Voodoo Rhythm Records) à Jim Diamond, illustre producteur de garage rock grâce à ses participations aux disques de The White Stripes (tiens, une autre doublette ?!) mais aussi The Sonics.

THE DEVILS, Sin, You Sinners! (2016)
THE DEVILS, Iron Butt (2017)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’occasion faisant le larron et la tentation de se frotter à un autre personnel étaient définitivement trop fortes. Alain Johannes, tant comme producteur que musicien, est devenu culte voire incontournable en l’espace de deux décennies, via ses contributions auprès des Queens Of The Stone Age, Them Crooked Vultures, de Chris Cornell, PJ Harvey, lors des Desert Sessions et j’en passe. Sa proximité avec Mark Lanegan est aussi un bel atout qui explique entre autre la présence de ce touche-à-tout à la voix fantomatique sur le titre Devil whistle don’t sing. Une surprise qui a été rapidement jetée en pâture aux paroissiens de la chapelle The Devils car choisi comme second single précédant la sortie de Beast must regret nothing.

 

Les premiers coups de butoir furent donc donnés en janvier dernier avec cet extrait, lui-même accompagné de Real man. Ce titre au rythme lent et lourd pue le stupre et rappelle à certains égards Iggy Pop et son noctambule Nightclubbing. Les backing vocals masculines appellent également à ce besoin de « bonhomme ». Le côté luxure est renforcé avec un clip rutilant, mélange de pin up lascive à talon aiguille et de série B à la pellicule éprouvée. Baigné dans un décor entièrement rouge carmin, couleur du désir charnel – Erica se donne à voir dans un body intégral à dentelles – ou du sang versé (désormais son nouveau nom de scène serait Switchblade, tout un programme), un félin se substitue à la brune incendiaire qui se languit sur les amplificateurs de son partenaire de jeu qui ne semble pas là, ni faire affaire… le moins que l’on puisse dire c’est que ça a de la gueule ! On subodore que le reste de l’album est du même tonneau, ça va être long d’attendre le 23 avril !

 

Bond dans le temps, le disque est enfin arrivé, Alléluia ! Une chose est certaine, passé l’explosion vésuvienne qu’est Roar, le rock’n’roll à tendance garage de The Devils est toujours d’actualité. C’est primitif, donc jubilatoire, mais on perçoit une montée en puissance sur l’ensemble de ce disque enregistré dans le berceau de la formation en seulement 15 jours. Une certaine maturité, des arrangements plus marquants sont à noter dès cette première plage. Le groupe lui-même pense avoir franchi un cap avec « la production de (son) meilleur album à ce jour. » Cette  instrumentale décapante pourrait se conclure par ces quelques mots de circonstance : « Va fa Napoli ! ». Non. Le bruyant combo a préféré ponctuer ces premières minutes de rockabilly foudroyé et fuzzy par les rugissements d’une bête terrifiante. Un cerbère ? Une chose est sure : durant une demi-heure les portes de la Géhenne s’entrebâillent.

 

C’est un bûcher expiatoire qui prend le relais dans le clip de I appeared to the Madonna. Côté musique, ça sent aussi le soufre, on pense à Dead Weather, tant la voix est similaire au timbre éraillé d’Alison Mosshart et puis parce que l’esthétique garage rock portée aux nues par Jack White transpire dans ce blues dépravé, voire plus tard avec Ain’t that lovin you babe et ses parties lead trempées dans un octaver.

 

Et le feu n’est pas prêt de retomber : Life is a bitch, Time is gonna kill me ou encore Don’t call me any more s’enchaînent au rythme échevelé et impulsé par les frappes martiales de la caution féminine du groupe. De son côté, Gianni Blacula (exit Gianni Vessella, Gianni Pregadio, Gianni Puzzadidio) officie à la guitare avec versatilité. Son jeu âpre déchire les enceintes transformées pour l’occasion en caldeiras. Si sa fuzz s’apparente parfois à du magma dégoulinant et visqueux (Real man, Devil whistle don’t sing, Don’t call me any more) elle peut quelques instants plus tard s’abattre avec fracas comme des nuées ardentes chargés de pierres ponces (Ain’t that lovin you babe, Roll with me). Assurant également le rôle de dominé en latex dans ce couple musical, il est le garant à de nombreuses reprises des chœurs approbateurs (Time is gonna kill) des incantations éructées par sa batteuse à l’organe saturé, proche vocalement des riot grrrls (Life is a bitch). Cette dernière ne lui cèdera le microphone qu’une seule fois, à l’occasion de Roll with me, cavalcade dantesque durant laquelle un piano, assurant les basses, fait une échappée finale.

 

 

Beast must regret nothing est un album pour ceux qui ont la danse de Saint Guy : aux va-et-vient rythmiques de Don’t call me any more succèdent la remuante Devil’s tritone et son charleston captivant. Un titre qui vire à la transe au terme des deux minutes et 21 secondes d’une véritable danse du feu. Il y a également un caractère tribal dans Devil whistle don’t sing. Cette fois-ci le cérémonial est assuré par la voix gutturale de Lanegan semblant recourir aux esprits. Constatons que le premier à frapper est celui des QOTSA, période de Lullabies to paralyze. La procession de The Devils se referme avec le morceau éponyme interprété et chanté en compagnie d’Alain Johannes. Tellurique et comme surgi des profondeurs de la Bocca Grande, ce final pensé au « dernier jour de l’enregistrement, au plus fort de la complicité qui s’était créée entre nous » (dixit le groupe) est bien plus long que les autres titres et, étonnamment, est charpenté autour de sonorités « rustiques » à tous les étages, façon blue devils. Guitares, batterie, harmonies, tout semble suranné, lointain, marécageux jusqu’à ce que la fuzz ne s’embarque et ne fasse la tabula rasa lors du second solo. Ne manquent plus que les flambeaux pour accompagner ce blues diabolique. Ni remords, ni regret.

 

Venus semer la désolation et la luxure une nouvelle fois, The Devils a mis dans le mille avec leur rock’n’roll sauvage vénérant le sexe et les péchés. Tout ici permet de mettre l’album à l’index aux côtés des ouvrages des Lumières ou de Serge Gainsbourg. Souhaitons leur deux choses. Premièrement, que l’Osservatore Romano ait quelques mots pour cette œuvre qui mérite de ne pas passer inaperçue. Une consécration en somme pour ces blasphémateurs. Deuxièmement, que les concerts reprennent rapidement parce que sur scène ces titres vont tout cramer. Croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en enfer !

-Benoît GILBERT

 

Artiste : THE DEVILS

Album : Beast must regret nothing

Label : Goodfellas Records

Date de sortie : 23 avril 2021

Genre : rock

Catégorie : Album rock

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