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DEPECHE MODE, Spirit

Depeche Mode… Naissant au début des années 80, vous ne pouviez qu’être bercés par cette nounou new wave. Ses hits aux clips inoubliables, plus ou moins bien placés dans le Top 50 de Canal+ – à l’instar de Never let me down again ou Enjoy the silence offrant un Dave Gahan travesti en roi avec un transat sous le bras – sont le souvenir d’une période où la musique synthétique était toute puissante. 36 ans plus tard, surmontant les péripéties et déjouant l’agenda de la mort, le tumultueux chanteur et ses deux acolytes ont encore des choses à dire haut et fort à travers ce remarquable 14e album, intitulé Spirit. Écoutons religieusement ce groupe de quinquas, à l’allure de porte-étendard d’une révolution souhaitée, mais qui semble perdue d’avance …

 

Une sombre nouvelle vague …

Spirit est un album d’une noirceur abyssale. Les aficionados rétorqueront : quel disque de Depeche Mode ne l’est pas ?! Vu sous cet angle, effectivement ce groupe n’est ni espiègle ni capable d’aligner les accords majeurs. Cependant, après trois décennies et demie, le trio emmené par le tourmenté Dave Gahan semble atteindre un Everest. Alors que nombre de (jeunes) formations surfe sur une new wave réanimée, les trois hommes de Basildon sont en quête de sophistication depuis plusieurs albums : Ultra, voire Exciter étaient voisins du contemporain Pop de U2 et Playing the angel entrouvrait une porte sur une trip hop angoissante, façon Massive Attack. Plus récemment, Delta machine faisait écho à l’univers du duo Trent Reznor et Atticus Ross. N’empêche, dès Going backwards, on constate que le poids des machines demeure conséquent dans ce nouveau LP. Deux accords martelés sur un sinistre clavier nous cueillent à froid avant de nous inviter à une marche électro et martiale. De même, boites à rythmes, samplers, bips, claviers déversant des nappes délicates (Cover me) ou saturées (Poorman) capable de flirter avec un bourdonnement incessant, confèrent à ces 12 titres un aspect glacial, proche de la musique industrielle. Cette orientation musicale marquée par le minimalisme des mélodies (No more (this is the last time)) conjugué à des sonorités robotiques (Scum), métalliques, brutales et envahissantes (le pont de Cover me) renvoient singulièrement à NIN, à la BO de The Social Network et au duo précédemment cité. L’ambiance se veut oppressante, malsaine, voire sexuelle sur You move, notamment lorsque l’électro modienne s’accouple à des sonorités empruntes au R’n’B.

Introduits depuis Songs of faith and devotion (1993), les instruments font désormais jeu égal dans le paysage sonore des papes de la new wave. Ici, les guitares sont récurrentes et multiformes. Bluesy et slidées sur le single Where’s the revolution, arpégées et cristallines sur The worst crime, fantomatique sur l’excellente Poison heart et régulièrement soumises à des distorsions de toutes sortes, elles offrent un immense terrain de jeu à la voix d’un Gahan – aujourd’hui revenu des ses excès – capable d’exprimer une large palette d’émotions (désespoir, dégoût, crise, etc.).

Ayant confié la production à James Ford afin de révolutionner le son (sommité comptant à son tableau de chasse les Klaxons, Peaches, Arctic Monkeys ou encore Foals), cet Anglais se retrouve également derrière des fûts qui se marient ou supplantent les boites à rythmes chères au groupe. Ainsi, du blues rock à la pop aux contours gothiques, Spirit manifeste des similitudes avec le Pale Emperor de Marilyn Manson (2015). Des touches électro gospel sont aussi notables sur la brillante Poorman et sur Cover me, titre épiphanique dans ce concert de noirceurs.

 

… charriant un aveu d’échec terrifiant.

Dans une interview accordée à Rolling Stone, Gahan avait déclaré que Spirit n’était pas « un album politique ». N’en déplaise au baryton, ce 12-titres en a la silhouette. Tel Albert Camus au lendemain du bombardement d’Hiroshima, Depeche Mode se pose en lanceur d’alerte dans un monde troublé par de multiples fléaux. Avec des paroles glaçantes et sans équivoque dès la première piste, il y a urgence : l’Homme est en danger car ses égarements, ses progrès technologiques lui font perdre toute forme d’humanité (« We are not there yet / We have not evolved / We have no respect / We have lost control » et renforcées lors du refrain, « We feel nothing inside »). Un sursaut, un avenir positif semblent pourtant possibles par le truchement d’une révolution : sur le pont de Where’s the revolution, Gahan incite l’auditeur à prendre part à cette démarche (« The train is coming (…) So get on board »).  Toutefois, homo sapiens sapiens est désespérément à l’arrêt et spectateur d’événements terribles (The worst crime). Dans cette spirale sans échappatoire, les idées noires de Gahan resurgissent et envahissent le refrain de Scum (« Pull the trigger »). La tentation et l’abandon deviennent irrésistibles sur You move. Un poison lent et diffus fait son effet (Poison Heart) et désespère un chanteur sevré d’amour, prêt quelques instants plus tard sur So much love à une romance destructive, oscillant entre masochisme et perversion narcissique (« You can despise me / Demonise me / It satifies me / So »). Face à ces ténèbres, Cover me apparaît lumineuse et aérienne, mais déconnectée de toute réalité. Ce bref instant d’onirisme gospel est rattrapé par un pont synthétique et entêtant. Le rêve laisse place à la cruelle réalité. Lorsque Martin L. Gore s’empare à son tour du chant, l’issue n’est pas différente. Avec Eternal, le serment de protection entonné à l’être aimé semble bien dérisoire dans un paysage sonore solennel et de plus en plus crépusculaire. Preuve en est, cette promesse est repoussée d’un revers de main sur le final Fail : l’âme humaine et son cortège de sentiments inhérents – dont l’amour et l’empathie – sont morts de passivité (« Our souls are corrupt / Our minds are messed up / Our consciences bankrupt / We’re fucked »). Fin de partie, on ne joue plus. 

Quatre ans après Delta Machine, les Britanniques sont de retour, métissant leurs racines électro pop ancrées dans les 80’s à des sonores variées, allant du blues au gospel, le tout sur un canevas de rock indus. Une belle entreprise riche en mélodies souvent anxiogènes et au dessein unique, tailler Spirit tel un diamant noir capturant les dernières lueurs d’une espèce en pleine régression, car lorgnant du côté des totalitarismes. Une mise en garde qui rappelle étrangement celle du dernier Neil Young (Things here have changed, in Peace Trail, 2016). Paroles sibyllines ou prémonitoires, l’Histoire jugera. Voici un nouveau Requiem pour l’humanité.

 

  • Benoît GILBERT

Artiste : DEPECHE MODE
Album : Spirit
Label/distribution : Columbia Records
Date de sortie : 17/03/2017
Genres : new wave / électro pop / rock indus / blues rock
Catégorie : Album rock

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