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LIVE REPORT : Festival du Chien à Plumes, 5-7 août 2016, Langres (52)

En 1997, une bande d’amis décide de créer un festival, avant tout musical. C’est le Chien à plumes en maillot de bain, raccourci cinq années après pour le Chien à plumes. Comme souvent, l’intention est louable : dynamiser un département essentiellement rural, la Haute-Marne, qui comptait à peine 200 000 habitants (et encore moins aujourd’hui). Situé sur le charmant plateau de Langres, prenant place sur un champ occupé le reste de l’année par du bétail, il profite aussi de la proximité du lac de Villegusien, qui permet aux festivaliers de prendre l’eau avant de plonger dans la chaleur des concerts.

En 20 ans, le festival du canidé emplumé aura accueilli plus de 400 groupes, soit près de 3000 artistes. Des plus grandes têtes d’affiches aux découvertes surprenantes auront fait vibrer les scènes du festival. Pour ce vingtième anniversaire, il fallait une édition extraordinaire, à tous les points de vue. Et les organisateurs et les bénévoles auront su remplir cet objectif.

 

La programmation de cette année a ainsi mis l’accent sur un certain nombre de noms reconnus, certains qui sont revenus de bon coeur. Mass Hysteria et Goran Bregovic avaient découvert le festival en 2002 et 2004. Pour le premier, l’évolution du style musical du groupe leur a permis de retrouver une nouvelle jeunesse, une énergie toujours aussi révoltée qu’ils ont su transmettre à un public de « furieux » et de « furieuses ». Le groupe a même joué dans la foule, demandant à leurs fans de tourner autour d’eux, pour un circle pit peu commun. Goran Bregovic, accompagné de son Orchestre des mariages et des enterrements, groupe à géométrie variable, a démontré qu’il restait le parfait ambassadeur de la musique des Balkans dans le monde. Caravan Palace, présent en 2010, a, une nouvelle fois fait danser les foules, avec son électro swing. Pour certains, il s’agit du meilleur concert de ces trois jours, et il faut reconnaître que l’ambiance était complètement folle.

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Le dernier jour, Tryo a clôturé cette série de retrouvailles de la plus belle des manières. Non seulement le groupe a lui aussi 20 ans, mais c’est un lien très fort qui unit la formation musicale et le festival, puisque c’est la troisième fois qu’ils sont réunis. Tryo a participé à la deuxième édition, est revenu en 2003, et Guizmo, l’un des membres, avait participé à l’édition de 2015 avec Collectif 13. C’est donc un double anniversaire qui a été fêté, chacun partageant les mêmes valeurs de tolérance, d’amitié et de décontraction. Le groupe a même fait découvrir de nouvelles chansons, inspirées, hélas, par les tristes actualités de ces derniers mois, démontrant qu’ils n’avaient rien perdu de leurs convictions. Mais l’humour était aussi présent, avec en fil rouge de nombreuses plaisanteries sur les contrôles de police à l’entrée du site. Tout ceci satisfaisant encore plus les festivaliers, persuadés d’avoir été le témoin d’un concert unique. Aucun de ces « retours » ne donnait l’impression d’opportunités réchauffées, mais bien de retrouvailles.

 

D’autres grands noms n’avaient pas encore été proposés aux festivaliers. Le chanteur écorché Miossec a ouvert le bal vendredi, accompagné d’un violon et d’un accordéon. Plus tard dans la soirée, il assistera dans les coulisses à une partie du concert de Mass Hysteria, ayant écrit certaines de leurs chansons. Julian Marley, fils de « vous savez qui », a délivré un reggae aux notes électriques très convaincant. The Shoes, la révélation electro de ces dix dernières années était aussi présent. Le groupe rémois a délaissé la Marne (et le monde!) pour la Haute-Marne afin d’offrir une session endiablée et agitée, diffusant avec leurs morceaux de nombreux clips troublants.

Enfin, ce qui était considéré comme une occasion manquée, la présence de Louise Attaque au festival, a pu être réparée. Le groupe s’était séparé en 2005, et les organisateurs n’avaient pas réussi à inviter le groupe précédemment. C’est d’autant plus dommage que la « Louise » du nom du groupe, Louise Michel, est née en Haute-Marne. Avec leur reformation en 2015, le nouvel album et leur tournée, il ne fallait évidemment pas les laisser filer entre les doigts. Ceci dit, avec 25 dates prévues cet été, il était difficile de les manquer. Mais il ne faut pas bouder son plaisir, car leur prestation a été sincère, n’oubliant aucun de leurs plus grands succès et se démenant pour convaincre le public avec leurs nouvelles chansons.

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Et parmi tous ces artistes reconnus, le Chien à plumes n’a pas dédaigné les formations plus modestes, les artistes qui s’entraînent sur la petite scène avant, peut-être, de trôner sur la grande, comme a pu le faire Shaka Ponk au fil de ses venues. Cette année, une fois encore, il y en avait pour tous les goûts, venant parfois des quatre coins du globe. Sans pouvoir tous les citer, dès vendredi, The Dizzy Brains, un nerveux groupe malgache (hélas écouté du bout des oreilles), The Wanton Bishops, de sympathiques libanais jouant du blues-rock, et, surtout, Dizraeli & Downlow, ont fait sensation. Ce dernier duo, anglais, a terminé la journée sur un hip-hop joyeux, burlesque, fou et entraînant. Le jour suivant, Delirium Psychedelic Orchestra était l’un des concerts à ne pas manquer. Création commune entre deux entités locales, un groupe de rock, Eleazar, et La Lyre, orchestre de cuir et de percussion de Chalindrey, parrainé par l’organisation du Chien à plumes, la formation a offert un rock’n roll atmosphérique et symphonique de grande qualité. Enfin, le dimanche, le rock engagé aux couleurs hispaniques de Zoufris Maracas et la charmante et délicate electro pop d’Inuit nous ont séduit, mais d’autres festivaliers vous citeront probablement encore d’autres coups de coeur que ceux-là. Ce qui est bien la preuve d’une programmation éclectique et de qualité.

 

Les organisateurs ont donc proposé une large variété d’artistes, entre grands noms et découvertes. Mais c’est même tout le Festival qui a fêté ses 20 ans dignement, en proposant de nouvelles décorations, animations ou de nouveaux partenaires. A proximité de la grande scène, une étonnante sculpture canine d’une centaine de palettes récupérées de près de dix mètres avec son piédestal invitait les festivaliers à s’amuser. Au camping, pour la première fois, un chapiteau accueillait des jeux et le stand associatif de L’antre de la folie, association culturelle locale. La nuit, un DJ assurait l’after. Les membres tout de rose vêtus de L’autre moitié du ciel proposaient des lectures de poésie et des ateliers littéraires. Différents stands, de prévention, de négoces, de nourriture et autres étaient aussi présents. Enfin, une petite scène, la scène Lupin accueillait des démonstrations de hip-hop et de lap dance, et le retour des Ring’O Star, qui voit des musiciens amateurs monter sur scène pour jouer. C’est tout un monde, presqu’un écosystème qui vit avec le Chien à plumes, se confondant avec lui. Le festival est tout cela à la fois, et tout ce qu’on n’a pas pu découvrir.

 

C’est tout cet esprit, cette décontraction, qui est l’une des principales qualités du festival. Malgré les importantes quantités d’alcool ingérées, personne ne cherche les ennuis. Les personnes y viennent pour s’amuser, pour profiter du festival comme ils en ont envie, mais toujours dans le respect de l’autre. Bien sur, certains bousculent ceux sur leurs passages quand leur titre préféré est joué par l’artiste. Mais la plupart s’excusent. D’autres viennent spontanément discuter. Et certains viennent déguisés, en Pikachu (le déguisement phare de cette année), en licornes, en Jack Sparrow, en Totoro, en mariées, en perroquets, tigres, chats ou tout de nylon, et ce sans compter certains avec d’improbables couvres-chefs. L’ambiance est bon-enfant, et on a vu cette année beaucoup de familles avec leurs progénitures, la nouvelle génération arrive.

Plus de 300 bénévoles étaient là pour faire en sorte que tout se passe bien, certains étant même des réfugiés de guerre. S’il ne fallait qu’un exemple de cette générosité commune, je vais devoir utiliser mon cas, puisque dimanche soir, alors que la fin du festival approchait, que les organisateurs commençaient déjà à ranger, je me suis retrouvé piteusement dans un ravin avec ma voiture. L’agent de sécurité est venu m’aider, des festivaliers ont apporté leur aide, des camions et des voitures se sont arrêtés, et alors que j’étais allé demander une main charitable à l’équipe, un véhicule de l’organisation a pu me sauver de cet honteux mauvais pas. Merci à  eux tous, mais aussi à tous ceux qui nous ont accompagné pendant ces trois jours, merci Jean-Philippe, merci Solène, et tous les autres.

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Cette édition, riche en émotions, a été aussi un incroyable succès, récompensant les ambitions des organisateurs. En 2010, le festival avait accueilli entre 18 000 et 20 000 spectateurs. En 2015, il n’avait comptabilisé « que » 12 5000 entrées. Le record est battu cette année, avec près de 24 000 visiteurs, bien au-delà des prévisions. Pour une fois, il faut bien le dire, il a fait un temps très agréable, sans précipitations. Beaucoup avaient même pris le Pass 3 jours pour en profiter pleinement. Hélas, cette affluence a montré les limites de la capacité d’accueil du festival. Certains ronchonnaient le samedi d’avoir dû attendre 1h30 avant de pouvoir rentrer, d’autres ont raté le concert qu’ils voulaient voir. L’enceinte du festival apparaissait trop limité pour pouvoir respirer pleinement. En 2015, le festival avait été élu « Meilleur Petit Festival » par les Festivals Awards. A partir de cette année, il risque d’être difficile d’oser encore appeler le canidé comme petit.

Mais ces quelques désagréments ne sont que la conséquence des choix heureux du festival, qui a su proposer une année bien remplie tout en ne perdant pas de cet esprit de décontraction qui est le sien.   Cette vingtième édition est donc un tournant, et nous attendons avec impatience la prochaine pour découvrir comment le festival arrivera à capitaliser sur le succès de cette année. Alors que le monde culturel est menacé par la diminution des subventions et l’augmentation des frais concernant la sécurité, espérons que le succès de cette année servira de levier pour que le Chien à plumes garde le sourire.

 

  • Damien Walther
  • Nicolas Boisselier

Crédits photos : Damien Walther & Nicolas Boisselier

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