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INTERVIEW : LA FÉLINE

Sa voix douce et feutrée, ses cheveux noirs de geai, ses yeux de lynx d’un bleu étrange et pénétrant , tout chez Agnès Gayraud nous évoque déjà que La Féline est bien plus qu’un nom de scène. Nous rencontrons la chanteuse et guitariste dream pop au détour d’un concert solo organisé par les Bains Douches de Besançon.

Sensation Rock : Adieu L’enfance, ton premier album vient de sortir. Tu es actuellement en tournée, tu as fait la première partie D’Étienne Daho à Marseille. Quels sont les retours que tu as eus par rapport à tout ça ? 
La Féline : Je dois dire que c’est un accueil super chaleureux, de la part de la presse identifiée mais aussi pas mal de la part de bloggeurs, un peu dans toute la France. Les gens écrivent des billets très personnels sur le disque, disent des choses touchantes, en parlant simplement d’eux à travers l’écoute du disque finalement. Et là j’ai l’impression d’avoir réussi quelque chose, si je puis dire. Et ça me réjouis d’autant plus que ça n’a pas été évident au départ de faire comprendre ce disque aux « professionnels » de la musique comme on dit. J’ai entendu des remarques horribles du genre,  «la Féline ça fait déjà cinq ans qu’elle fait des  trucs, ça aurait dû exploser avant.. » C’est un peu absurde. Il y a des tas de contrexemples dans l’histoire de la musique. Bashung, par exemple, qu’ils révèrent tous désormais n’a pas « explosé » tout de suite. Et pour pondre quelque chose de valable, je pense qu’il faut aussi du temps. Même si on peut faire œuvre à 17 ans, il y a plein d’exemples aussi. Et mon but d’ailleurs n’est pas d’exploser : je veux simplement pouvoir faire ma musique et la porter aux oreilles des gens qui peuvent y être sensibles. La logique de l’industrie aujourd’hui est assez darwinienne : soit tu exploses comme ils disent, soit tu crèves. Face à ça, j’ai pu avoir des moments de grand découragement.

Mais tu n’as pas lâché.
Non je  n’ai pas lâché et je me suis retrouvée à devoir faire des choix toute seule sans qu’il y ait un directeur artistique qui me dise ” tiens, là, tu devrais faire ça.” [Rires] Au début, c’était un peu embêtant, j’aurai bien aimé avoir de l’aide. C’est dur d’être libre, en fait ! Et du coup, à un moment j’ai décidé d’embrasser cette liberté et de faire vraiment ce que je voulais. (On a travaillé ensuite à deux avec Xavier Thiry qui a produit le disque et enregistré ses plus beaux arrangements de synthés.)  L’accueil est d’autant plus chaleureux parce que je pense que les gens sentent ça aussi. Que cet album n’est pas un résultat immédiat ou facile. La sensation de sincérité réelle – mais c’est toujours délicat avec l’enregistrement, la pop – passe sans doute par là d’ailleurs.
Et puis Daho. J’avais déjà fait quelques grosses premières parties, la première partie d’Alister en 2008, de Rover en 2012, qui est un ami aussi. Mais là Daho, ça faisait vraiment sens. C’est-à-dire que c’est la première fois que j’ai eu autant de retours, de gens qui étaient là pour Daho et m’ont écrit ensuite des petits mots, tout le bien qu’ils avaient pensé du concert.

Tu joues parfois seule sur scène, pas trop difficile de passer d’un trio à un solo ?
Disons que c’est une question de rodage. En ce moment, je fais plutôt beaucoup de trio, donc on est très rodés en trio et les dates solos sont plus ponctuelles. Mais si à un moment je décide de faire plus de solos, je roderai plus le solo.
C’est pas forcément plus difficile, ce sont deux exercices assez différents. Un des grands plaisirs que j’ai, quand je joue en solo, c’est l’intimité que j’ai avec le public. Tu accèdes moins à ça en trio. Même si je m’aménage des moments qui restent purs, comme avec « Rêve De Verre », que je fais vraiment a cappella. Mais ça j’adore, cette intimité, où, certaines fois, tu peux te permettre de plaisanter un peu sans casser l’ambiance. Alors qu’en trio, l’énergie du groupe ne te permet pas la même humanité.  Mais c’est super aussi, parce que le son est plus dense quand on est trois. Ça envoie. Tu peux plus emporter les gens.

Finalement ça te fait deux manières de jouer ta musique, deux musiques différentes. 
Oui mais en même temps ce que j’aime bien dans ce disque, c’est que les chansons ont vraiment été composées seule. Et donc tu as ce truc à l’os de toute manière, qui fait que je pourrais quasiment toutes les chanter a cappella. J’ai tellement travaillé les paroles que  chaque chose que je dis aux gens, j’ai vraiment envie de leur dire. Et du coup qu’il y ait trois mecs derrière moi ou personne ça ne change rien à l’essence du truc – même si mes compagnons de scène, Bertrand Flamain et Sébastien Dousson me sont tout de même ultra-précieux !

Justement par rapport à l’écriture : tu composes des textes à la fois minimalistes et poétiques, exercice difficile. Peux-tu nous en dire plus sur les auteurs qui t’ont inspiré ce goût du verbe ? 
[Rire] En tout cas ce qui est sûr c’est que je n’aime pas la pop verbeuse. Alors j’espère que je n’ai pas l’air d’en faire. Mais j’apprécie des tas d’auteurs. Par exemple j’aime beaucoup un poète qui s’appelle Jacques Roubaut, un livre qui s’appelle Quelque Chose Noir. Et déjà dans le titre on a cette idée que ce ne sont pas des phrases entières. J’aime beaucoup ça dans la langue française : la puissance d’évocation.  Ne pas nécessairement expliciter les choses, mais parfois, se contenter de suggérer des images et de  faire sonner les mots.
Sinon, c’est très classique, mais bon Verlaine je trouve qu’il est génial comme modèle pop ! [Rire] Enfin, voilà. J’ai un morceau qui s’appelle Zone, et quelqu’un qui m’a rappelé qu’il y a un texte d’Apollinaire qui s’appelle Zone aussi. Bon ça, c’est pas vraiment conscient, mais il  y a des réminiscences. Après j’ai essayé de ne pas trop être dans le formalisme et plutôt de dire les choses. J’ai une chanson que je n’ai pas jouée ce soir, Dans Le Doute, ou je dis «  je repense à ma mère ». Bon ben voilà je repense à ma mère quoi. [Rire] Enfin, je dis ça, mais c’est le mauvais exemple parce qu’il y a une chanson de John Cale qui est magnifique où il dit justement «  and I think about my mother » et j’adore cette chanson, j’y ai pensé en écrivant « Dans le doute » . [Rire] « Dying On The Vine »  elle s’appelle. Et là finalement, il y  a une vraie référence. Mais quand je dis « Adieu l’ Enfance », je n’essaie pas de poétiser. Ma seule exigence poétique c’est que ça sonne !

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Et du coup, Il y a dans ta musique une alchimie entre les mots et les notes de guitare. C’est à la fois épuré, frais et sensuel. Est-ce que c’est ce que tu voudrais évoquer avec ta musique ?

Quelque chose d’épuré oui. L’idée de quelque chose de pur, c’est vraiment ce que je cherche. Un journaliste m’a parlé récemment d’un aspect spectral dans « Adieu l’enfance », ça m’a plu. Et en y réfléchissant, je me suis dit que le spectre c’était un peu l’enfant que j’étais. On m’a fait remarquer aussi qu’il n’y avait pas explicitement de chansons d’amour dans l’album. Du genre «  je t’aime, tu peux pas m’abandonner, etc. ». C’est comme si la psyché du disque n’était pas vraiment adulte paradoxalement, dans des sentiments de femme conventionnels. C’est plutôt une psyché  assez enfantine – ce qui ne veut pas forcément dire innocente. Comme les enfants ont conscience aussi de la mort et de l’irréversibilité des choses. C’est plutôt cette voix-là qui m’a guidée. Et qui donne peut-être ce côté un peu distant – et non pas froid – dans le disque. Je pense qu’en live on ressent mieux d’ailleurs cette intention assez humaine. Pour le prochain album, si j’ai de meilleurs moyens pour enregistrer, j’aimerais bien qu’on ressente cette chaleur aussi, mais sans doute de façon totalement différente.…

La Féline est une référence au film de Jacques Tourneur. Quels sont les attributs du personnage dont tu te réclames à travers ton projet ?  
Pour une fois que la question est bien posée ! [Rire] Alors, avant tout, c’est l’idée de la métamorphose pour moi. C’est avec cet espoir – l’espoir de te métamorphoser, il me semble, que tu montes sur scène, pour sortir un peu des cadres qui te sont imposés. Socialement et même familialement. Des tas de contraintes limitent un peu ta personnalité, la brident. Monter sur scène est une façon de retirer certains jougs, pour moi, c’est la possibilité d’énoncer des choses assez sombres, qui casseraient l’ambiance en gros dans un autre contexte.[Rire] C’est donc déjà cette idée de la métamorphose : pouvoir passer dans un autre régime d’existence et d’incarnation.
Et puis, Simone Simon est sublime, dans le film de Jacques Tourneur, mais ce n’est pas la beauté Bimbo. Elle n’est pas très conventionnelle comme beauté, elle a une beauté un peu étrange. Et j’aime bien aussi cette étrangeté. L’idée de quelque chose d’attirant, qui ne soit ni fade ni putassier. Attirant, mais qui te trouble un peu. [Rire]

Avec toute sa part d’ambivalence et de monstre aussi.
Exactement ! C’est quand même entre du monstrueux et de la séduction. Quitte à monter sur scène, autant travailler ce côté mystérieux. Ça serait aussi un élément, l’ambivalence. Et puis j’aime bien aussi cette élégance. Après je fais pas ça pour être dans le bon goût. C’est l’élégance au sens d’une façon d’être, propre aux mouvements des animaux en fait, des êtres moins embarrassés que nous de conscience. Les félins ont cette assurance qui me fascine – c’est marrant parce que moi dans la vie, je suis plutôt un peu gauche et très très consciente ! Donc, ce nom, c’est aussi la tentative de surmonter quelque chose en moi, ou de laisser s’exprimer quelque chose que ma lucidité par ailleurs a tendance à brider…

Dans tes textes tu parles beaucoup de la nuit, d’anges déchus et de dandys. Ajoutons à ça les chansons d’amour, les cigarettes et l’ivresse. La Féline, personne romantique ? 
[Rires] Ouais, je pense un peu sans doute malgré moi. Enfin oui romantique, mais  vraiment au sens propre, littéraire du terme. Y a quelque chose qui procède du romantisme ( ndlr : cf le mouvement romantique) pas du tout ce qu’on appelle le romantisme dans les comédies de Woody Allen. Là, c’est vraiment l’idée d’un sens du tragique. Cette façon de voir les choses depuis un idéal, et d’y être un peu enfermé. Rêve de verre, c’est un peu ça aussi. Et l’idée de sculpter de petits diamants noirs… Oui, bien sûr. [Rire]

La cold wave te permet de créer des atmosphères nocturnes, brumeuses, mystérieuses. Je pense notamment à « Midnight ». La nuit, la brume ce sont des lieux qui t’inspirent ?
Oui, ça aussi ça fait partie des évocations, assez conventionnelles finalement, du romantisme. L’idée qui me plaît c’est de transformer ces ombres et cette nuit en une expression moderne. De leur donner un sens finalement très concret et très psychique. Ça n’est  pas juste là comme un décor. Mais comme la seule façon qui me semble pertinente pour exprimer ce trouble intérieur. [Rire]

Dans ton album pop Adieu l’enfance, tous les morceaux sont en français.  Chanter en français, est-ce que c’est important pour toi ? 
Oui. Absolument. Avant, je chantais aussi en anglais et j’adore chanter en espagnol aussi. Je pense que je retenterais. C’est la langue de ma mère. En fait, à un moment,  j’ai fait des reprises, et j’ai chanté une chanson qui s’appelle « Le Roi Fait Battre Tambour »,  avec une histoire hyper-dark là aussi. En gros une histoire de droit de cuissage qui se termine par la mort de la belle. Et il y a une répétition comme ça (Agnès Chante) « Le roi fait battre tambour ». Quand je la chantais aux gens, je constatais leur attention, et je me disais «  Wouah, mais c’est génial en fait de chanter en français ! » Et ce n’était pas qu’un truc de chansons à texte. Tout à coup la musique signifie autrement. Je me suis dit que c’était un atout de pouvoir chanter dans sa langue.
Après c’est difficile oui parce qu’il faut arriver à faire des textes que tu assumes, dont tu n’as pas honte. Et ça peut arriver d’avoir honte d’un texte mal écrit ! [Rire] Il y a plein de routes barrées à éviter quand tu composes. J’essaye de me différencier, de me démarquer d’autres chanteuses qui auraient mon type de voix. Donc oui, le français, c’est très important. Pour moi c’est une exigence qui est devenue une force. C’est un atout, il faut chanter dans sa langue.

« Moderne, c’est déjà vieux » ?
Le mot moderne, dans la pop, c’est très année 80, ca évoque directement les « Jeunes gens Mødernes », le groupe Mathématiques Modernes aussi. C’est l’esprit d’avant-garde des années trente appliqué  à la pop cinquante ans plus tard. Avec ce désir d’aller vers le futur. Et donc c’est valorisant. Ce que je voulais dire par « moderne c’est déjà vieux », c’est que : un jour j’étais à la Maroquinerie, une salle parisienne, dans une soirée organisée par la revue Gonzaï http://gonzai.com/, où il y a souvent des chouettes groupes. Et on entend des gens parler ; je l’ai enregistré et si tu écoutes bien la chanson t’entendras derrière : deux gars qui se disputent avec l’un d’eux qui dit «  mais ça a déjà été fait cent fois ce truc ! Ça pourrait être n’importe qui ! ».
Leur problème pour apprécier le concert, c’était de savoir si c’était d’avant-garde ou pas, de savoir si c’était complètement nouveau. Effectivement, il y avait beaucoup de codes dans ce concert. Mais finalement je me suis dit, mais ce critère là qu’on a pour juger de la pop aujourd’hui, il nous étouffe complètement. Parce que comme on a accès à toute l’histoire de la pop, on sait tout, on est hyper lucides, et c’est suffocant. Dès qu’un truc sort on est là «  Ah oui, mais c’est comme-ci, ah oui, mais c’est comme ça. »
Du coup quand je dis moderne c’est déjà vieux, je veux dire que cette façon de toujours vouloir interpréter les choses en fonction de leurs modernité, c’est peut-être ça qui est devenu désuet désormais et dont il faut nous libérer ! Maintenant, concentrez-vous sur l’incarnation. Sur ce que proposent les gens ici et maintenant. Sur ce qu’ils font des codes, plutôt que sur les codes eux-mêmes. L’important, ça a toujours été ça en art. On a toujours joué avec des codes. Ce sont les individus qui changent les choses, avec ce qu’ils sont physiquement, socialement, charnellement même.
L’auteur sur lequel j’ai travaillé dans ma thèse, c’est un moderniste pur jus justement. C’est passionnant intellectuellement, mais artistiquement assez stérile. On pourrait en discuter longtemps. Mais ce qui est passionnant de ce point de vue-là, c’est qu’objectivement cet idéal de Modernité est très ancien maintenant, on l’énonce dès les années trente. Et nous dans le rock, on se croit très in en continuant à penser comme ça, mais sur un plan historique plus large, ça commence à dater.

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Des images de films en noir et blanc ou de thrillers surgissent dans ta musique. On sent ton goût pour le cinéma. Pourrais-tu nous en dire un peu plus sur tes influences. 
Alors c’est marrant parce que pour parler de mon album on m’a demandé de citer mes dix bouquins. Mais j’ai dit «  tu sais, ce n’est pas des bouquins qui m’ont inspiré [Rire], c’est plutôt des films. Le cinéma avec la musique, c’est vraiment un de mes arts préférés. Je suis assez cinéphile.
Juste pour donner un exemple de film, que j’adore et qui pourrait se rapprocher un petit peu ; il y a le film qui s’appelle De Bruit Et De Fureur, de Jean-Claude Brisseau. Tu suis principalement des enfants qui n’étaient pas vraiment acteurs à l’époque. C’est très bien filmé. Et il y a une espèce de double dimension entre leur vie a l’école et leur vie de famille (ou leur absence de vie de famille)– un des enfants est abandonné – et en même temps y a un monde intérieur, mystique, très bizarre, de l’enfant, la nuit, qui voit une espèce de femme avec un oiseau très étrange, qui fait un peu penser à la mort, et qui incarne aussi un peu sa mère absente.
J’adore ce dualisme entre des choses très sociales et très fantasmatiques. Un rapport à la société qui est réel, concret. Et en même temps, des moments de pure mystique, fantastique. Le cinéma souvent peut proposer des choses comme ça, et j’y suis très sensible.

Ta musique à quelque chose de très féminin. Je pense à T’emporter, où il est question de sauver un amant blessé. Mais aussi à Adieu l’enfance, dont le texte tout sauf mièvre, dépeint une femme forte qui affronte la réalité du temps qui passe. Est-ce que c’est ta manière d’être féministe que de montrer une autre image de la femme, loin des stéréotypes ?
C’est bien si ça apparait comme tel. [Rire] Alors, c’est sûr que quand tu es une fille et que tu fais de la pop, il y a un gros risque de minauderie. On le ressent souvent dans les voix, il y a des conventions – dans les façons de chanter — qui nous traversent. Je n’y échappe pas forcément d’ailleurs. Mais dans ce disque, j’ai justement essayé d’éviter la minauderie. D’avoir ma voix, une voix qui corresponde à ma voix réelle, qui exprime juste ce que je veux exprimer, pas spécialement féminine, humaine  avant tout.
Après il n’y a pas trop d’histoires de femme dans ce disque. La voix qui parle c’est plus une enfant au fond. Mais cela dit, oui, je pense qu’il y a une part de sensibilité féminine sans doute qui passe, une certaine douceur. Parce que c’est un disque qui se veut enveloppant aussi, et qui est là pour parler aux individus, isolés. Donc si on identifie féminité à douceur et à une forme d’empathie, oui. Pour moi lutter … Enfin, bien sûr que je suis féministe ! [Rire].

Ah, merci ! J’attendais que tu le dises. 
Mais par contre je pense qu’il y a plein de façons d’être féministe. Justement tu vois, c’est ça que je voulais défendre en parlant de Lana Del Rey sur mon blog. Bon elle est un peu limite en interview, comme lorsqu’elle a déclaré qu’elle n’était pas féministe pour faire genre, surement parce que quelqu’un lui a dit de dire ça. Enfin, j’en sais rien. [Rire] Bref. Mais en tout cas, dans sa musique, son exploitation du glamour ne me gêne absolument pas, précisément parce qu’il est totalement excessif.
Ce que je trouve intéressant, c’est qu’elle pousse le glamour à un tel point, qu’on sent ce côté décomposé, ce côté un peu morbide constitutif du glamour : elle l’hyperréalise. Elle a un côté fille violée Lana Del Rey. Et c’est travaillé en fait. Et les gens lui reprochent son artifice, sans voir que c’est un artifice qui se donne comme tel, et dont elle paie tout de même le prix. Il y a quelque chose de très profond concernant les femmes bien sûr mais même la pop en général dans cette figure qu’incarne Lana Del Rey.

Tu tiens également un blog qu’on peut retrouver sur ton site. On peut y lire des chroniques assez fines sur des artistes et des albums de musiques, des films que tu as vu. Est-ce que tu aurais aimé être critique ? 
J’ai un grand respect pour les critiques. Un de mes livres préférés, ce sont des textes de Serge Daney sur le cinéma. J’aime beaucoup le langage critique. Ou le livre de Michel Houellebecq sur Lovecraft. Bref, je suis spécialement  sensible à l’intelligence critique en général.
Mais je ne souhaite pas être critique : si j’écris sur la musique, c’est pour faire un pont entre une culture philosophique que j’ai acquise avec des études et ma pratique de musicienne. Mais la priorité pour moi c’est la musicienne. Et c’est bizarre ça parce que je suis davantage légitimée dans le monde intellectuel, dans le sens où j’ai fait une thèse, je suis agrégée, j’ai des diplômes… Et finalement c’est le monde où cette légitimation n’est pas vraiment possible qui compte le plus pour moi.
Parce que dans le monde de la musique, tu n’es légitimé lorsque les gens sont touchés ! Et encore. Il n’y a pas de diplôme en tous cas.  Il faut tout le temps te remettre en question. Et le blog, entre les deux, c’est un espèce de petit havre de paix que je me donne pour utiliser cette intelligence critique sur la musique.
Parce que je pense qu’en plus tous les musiciens ont ça. Après certains sont moins à l’aise avec le langage. Mais il n’y a pas de musicien qui n’ait un rapport critique à la musique en général. Un rapport de réflexion, de critique.

Qu’est-ce que ça écoute comme musique une Féline ? 
Du gros hip-hop ! [Rire] C’est pas totalement faux en plus ! [Rire] Non, j’écoute beaucoup p de musique. Mais je vais répondre spécifiquement parce que si je commence… Par exemple avec mon copain on réécoute souvent tous les Dylan, après tous les Morrissey, après on réécoute tous les Franck Black, même les plus mauvais.  [Rire] Après en travaillant j’écoute, comme tout le monde, de la musique électronique. Mais, parce que ça, c’est un peu infini, disons que je répondrais a ta question sur la musique que j’écoute en me concentrant sur celle que j’achète en vinyle, ou en disque : et de fait, c’est souvent la musique des gens dont je suis proche. C’est-à-dire que j’ai une espèce d’éthique de proximité, et d’ailleurs sur mon blog, j’écris sur des gens qui sont proches de moi. Ricky Hollywood ou Hello Kurt, pour moi ça résonne de façon très très forte. Et du coup, j’écris sur eux. Et donc maintenant, j’achète des disques quand je vais à des concerts qui me plaisent. Et y a ce truc comme ça d’inscrire la musique dans une biographie. Sachant qu’on a accès à tout. C’est une manière de mettre un peu d’ordre dans ce chaos. En passant par la vie même.

Un grand merci à Agnès Gayraud pour sa bienveillance, sa grande patience et la richesse de ses réponses. Merci également à Christophe Michaud, programmateur des Bains-Douches de Besançon, grâce à qui cette rencontre a été possible.

Interview réalisée par Justine L’habitant
Crédit photo Guillaume Canva.

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2 comments
  1. Très belle interview miss Justine. J’ai vraiment adoré le concert d’Agnès et son indéniable gentillesse et bienveillance.

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