Guitariste mythique de David Bowie, Carlos Alomar a joué sur nombre de disques du maître de Young Americans en 1975 jusqu’à Reality en 2003. Il a été des fabuleuses tournées 76, 78 et 83. Il rend aujourd’hui sur les scènes européennes un magnifique hommage à Bowie et au DAM qui a accompagné celui-ci des années durant.
Comment t’est venue l’idée de faire cette tournée hommage à Bowie et au DAM ?
« Nous avons eu l’envie de fermer nos yeux et de retourner en arrière. Je ne voulais pas évoquer le Bowie de Ziggy Stardust ou de Blackstar, seulement celui des disques sur lesquels le DAM a joué. Nous voulions nous remémorer ces moments où chacun a vécu quelque chose de particulier sur ces titres de Bowie : son premier amour, son premier baiser… Je ne voulais pas mélanger les émotions. On a voulu se souvenir de ses temps magiques. David nous a honorés en tant qu’homme et musicien et je voulais l’honorer en retour. »
Durant cette tournée vous jouez les titres de la trilogie berlinoise Low, Heroes et Lodger ?
« On joue les titres que nous jouions en tant que DAM, donc de Station to Station à Scary Monsters en passant par la trilogie berlinoise. »
Malheureusement quelques mois après la disparition de David, Davis est également décédé. Comment as-tu trouvé le musicien qui le remplace ?
« Les musiciens que j’ai choisis l’ont été par le destin. J’en ai rencontré plusieurs lors d’une convention de fans de Bowie. J’ai demandé à George (Murray, ndlr), qui ne faisait plus de musique depuis longtemps et qui faisait partie du DAM, s’il voulait venir jouer avec nous. Il a été d’accord tout de suite. »
Je sais qu’il avait été blessé que David ne le rappelle plus jamais en tant que musicien après le Saturday Night Live de 79.
« Tu as totalement raison. Mais en tant que musicien de studio je n’ai jamais attendu d’appels. Après avoir fait Young Americans et Station to Station avec David, j’étais à Broadway à faire le Rocky Horror Picture Show avec Meat Loaf. Bowie m’appelle pour me demander de jouer de nouveau avec lui. Bien sûr que j’ai dit oui, mais je n’attendais pas cet appel. J’étais parti sur autre chose. »
Comment les choses ont commencé pour toi avec Bowie ?
« J’avais dit non à David parce que j’étais occupé sur d’autres projets. Quand tu dis non à quelqu’un il te respecte. On a commencé à traîner ensemble. David m’a dit : “Je m’occupe de tout”. Cela a commencé aussi simplement que cela. »
Tu l’as rejoint sur la fin de tournée Diamond Dogs. Est-ce toi qui as amené cette inflexion soul à sa musique ?
« David a commencé à être intéressé par le Philadelphia Sound. C’est à ce moment-là que nous l’avons rejoint pour la fin de cette tournée. Le public était surpris par ce son nouveau et parfois réagissait mal. David leur a dit : “Vous devez respecter mes musiciens”. C’est à ce moment-là qu’il y a eu une transition dans le son de David. »
L’année d’après tu co-écris Fame avec David et Lennon. Cela devait être impressionnant de travailler avec ces deux monstres sacrés ?
« C’était incroyable. On était au studio Electric Ladyland, le studio de Hendrix. Je connaissais à peine David. Bien sûr que je connaissais Lennon, tout le monde savait qui il était. On m’a proposé de les rejoindre en studio. J’ai commencé à sortir une ligne de guitare. Ça leur a plu. Le morceau est né ainsi. »
Fame a souvent été sur les set list de Bowie, de ce moment-là jusqu’à ses ultimes tournées.
« La première fois que j’ai entendu le morceau j’étais dans un supermarché en train d’acheter des œufs. C’était vraiment spécial de l’entendre. Je me suis dit : “Wow, c’est moi qui ai écrit ça” (rires). »
L’année suivante c’est Station to Station, peut-être le meilleur album de toute la carrière de Bowie.
« Ce disque a un son incroyable. Quand l’album arrive c’est le début du disco. Les musiciens commencent à faire des morceaux qui durent au-delà des deux, trois minutes des titres pop que l’on entendait encore beaucoup à cette époque. Le morceau Station to Station et ses dix minutes préfigurent une nouvelle ère. »
Toi avant de jouer avec David tu étais un musicien jazz, soul ?
« Je joue de tout. Je joue de la soul, du jazz, de la bossa-nova. Pour moi il n’y a aucune catégorie dans la musique. J’aime Django Reinhardt comme Hendrix. Celui-ci m’a appris que l’on pouvait faire sonner une guitare comme le bruit d’un avion. »
En 77 vous allez vous enfermer au fameux Château d’Hérouville (…) pour créer Low. Quel souvenir en gardes-tu ?
« Bowie avait choisi d’enregistrer au Château d’Hérouville pour nous sortir de notre zone de confort. Nous étions concentrés à 100 % sur la musique. Il n’y avait aucune distraction possible. On était focus sur ce que nous faisions. Et cela a été la même chose par la suite pour les enregistrements à Berlin ou en Suisse. »
Bowie était difficile à suivre ?
« Absolument pas. Il était un maître pour t’amener vers où il voulait t’emmener. Il était proche de ses musiciens. C’était exceptionnel d’être en studio avec lui. C’était une histoire de travail et d’amitié. L’amitié était là depuis le début et cela n’a jamais cessé. »
Pour les tournées tu as dû apprendre les morceaux de la période glam. Tu les aimais ?
« Je trouvais ça un peu trop simple. J’aimais les paroles mais la musique je ne la trouvais pas assez sophistiquée. Un titre comme Soul Love par exemple, les paroles sont splendides mais la musique un peu trop basique. Là je parle en tant que musicien. »
Bowie est un mythe pour plein de gens. Pour toi qui le côtoyais au quotidien, quel genre de personne était-ce ?
« On peut comparer Bowie avec Halloween. C’était ça la vie de Bowie. Il ne pouvait pas être David Jones mais devait à chaque fois être un nouveau personnage. Il devait changer en permanence. Ce n’était que du bonheur de travailler avec lui. Cela a été un honneur de l’accompagner durant si longtemps. »
Bowie a été important non seulement pour la musique mais aussi pour les styles, pour la liberté sexuelle…
« Bien sûr. Je pense que c’était son intention et il a réussi à ce niveau-là. Bowie était extrêmement intelligent. Il a écrit des morceaux qui pouvaient avoir plusieurs sens comme Look Back in Anger ou Repetition. Il disait ne pas expliquer ses chansons et que c’était aux fans de les interpréter. »
Quel souvenir gardes-tu du Serious Moonlight tour de 83 (…) ?
« C’était incroyable. Quand le promoteur nous disait que nous allions jouer dans un stade de 80 000 places, on était hyper excités. On a joué à Hong Kong, Singapour durant cette tournée. Je me concentrais sur ce qui se passait sur scène. Quand tu joues dans un stade, à part les premiers rangs, tu ne vois pas grand-chose. Tu ne vois qu’une sorte de grande vague devant toi. Mais je ne regardais pas cela. Je regardais David qui lui-même me regardait. On avait beaucoup d’argent sur cette tournée donc nous nous achetions de superbes costumes pour les shows. »
Tu étais directeur artistique sur les tournées 76, 78, 83, 87. C’était comment ce job ?
« C’était beaucoup de boulot mais c’était très excitant. »
Tu as arrêté de tourner avec David après la première partie du Outside tour 96. Pourquoi ?
« Ma femme a eu un problème. David m’a dit : “Carlos, tu dois aller auprès d’elle”. Je suis parti. Je devais retrouver ma femme et David comprenait parfaitement cela. Bowie et ses musiciens, encore une fois, c’était une famille. »
Que représente cette tournée pour toi ?
« La famille, la fan base de Bowie. Nous voulons revenir à cette période où nous étions si heureux dans cette Bowie family. Je veux honorer la mémoire du batteur du DAM, Dennis Davis. Et j’ai envie que l’on réentende les messages qu’il y avait dans les morceaux de David. C’est comme une réunion de famille Bowie. »
Il y a un vrai échange avec le public durant cette tournée.
« C’est fabuleux. C’est un tel bonheur que d’entendre le public chanter sur “Heroes”. Cette tournée est magique. L’argent du merch va à la famille de Dennis Davis. C’est une petite chose mais elle est importante. »
PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE-ARNAUD JONARD
