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Interview : Heather Nova

Samedi 8 octobre dernier, la sirène pop-folk Heather Nova était de passage par l’Alhambra à Paris, trois ans presque jour pour jour après sa précédente venue au Café de la danse ; et quand on y pense, juste avant que la pandémie du covid ne s’abatte sur le monde.

Une épreuve anxiogène de confinement plus tard et un album pensé durant cette période, nous l’avons retrouvé toutes flammes scéniques dehors ( et toutes fleurs ornant son pied de micro ) pour ce qui s’apparente à une tournée best-of unplugged de sa carrière, entremêlée des standards du patrimoine pop-rock qui composent son nouvel opus conceptuel.

Un concert chargé en émotion, parsemé de quelques guests de son entourage ou pioché dans le public, toujours enrobé d’une grâce inaltérée et de cette voix cristalline si envoutante.

C’est à l’occasion de cette venue que nous avons eu l’opportunité de nous entretenir avec la poétesse des Bermudes afin d’évoquer ensembles, entre autres, la confection d’‘Other Shores’.

SR : Heather, vous nous revenez avec un album inattendu uniquement composée de reprises. On sait que vous vous étiez déjà prêtée à l’exercice par le passé ( on se souvient de vos morceaux superbement revisités : ‘I’m on fire’ de Springsteen, ‘Wicked Game’ de Chris Isaac, ou encore du ‘Tainted love’ de Soft Cell reprise en Live ); pourquoi avoir choisi d’en faire un album complet ?

HN : Ce n’était pas pensé comme cela. Je l’ai fait durant le confinement, je jouais des morceaux pour passer le temps, j’expérimentais des choses en jouant quelques reprises. Et j’ai commencé à bien aimer le processus créatif de transformer des chansons selon mon style personnel. Puis je me suis dit ; tiens, pourquoi ne pas les enregistrer ? Mais c’était littéralement un projet de ” confinement”.

SR : En tant qu’artiste reconnue de la sphère folk-rock, on vous attendait plus sur des covers de vos ainées comme Joni Mitchell, Patty Smith, Mélanie ou encore Stevie Nicks; or votre choix semble s’être porté presque uniquement sur des figures masculines ? Etait-ce un choix prémédité, quelle en est la raison ?

HN : Disons que je voulais vraiment prendre des titres que je pouvais moduler à ma façon, complètement transformer. Si j’avais pris des chansons proches de mon répertoire, il n’y aurait eu aucun challenge pour moi. De plus, je n’aurais pas pu toucher aux titres phares des figures cultes que tu cites; ce qu’elles ont produit est déjà parfait en l’état. L’idée première était vraiment de prendre une chanson et de l’amener sur un terrain complètement différent, la faire entendre aussi d’une façon différente. Ca aurait été trop évident de marcher dans les pas d’artites qui composent ou ont composé dans le même genre musical que le mien.

SR : La reprise de Françoise Hardy en est l’exception; vous la reprenez dans un français fluide. Est-ce plus difficile de reprendre des titres dans une langue étrangère en cherchant en même temps à lui donner une tout autre tonalité ?

HN : Complétement. En fait, j’ai voulu que ce soit un challenge pour chacun des morceaux de l’album. Les sortir de leur contexte, essayer de leur donner une nouvelle vie, une nouvelle fraîcheur.

Pour Françoise Hardy, le choix s’est porté sur une chanson en français car je me suis dit : si je dois reprendre une artiste féminine, il faut que je préserve cet élément challengeant.

Pour cette raison, je ne l’ai pas traduite mot pour mot. Je voulais prendre le sens général, l’introduction, la partie parlée et les vers puis retravailler sur l’aspect poétique de tout cela. Aussi, j’ai passé plusieurs jours dessus, parfois en m’y attachant mot par mot. Toujours en recherche de la sève poétique du texte.

Mon conjoint est français aussi il m’a aidé à comprendre le sens des paroles en m’en faisant la traduction littérale et ensuite de mon côté, j’ai repris l’ensemble pour travailler sur l’aspect poétique.

SR : On sait que vous êtes aussi à l’aise dans les ambiances suaves que dans les échappées électriques et le rock abrasif. Pourtant ici, vous avez choisi de n’aborder les titres que sous un angle unplugged. Y a t’il une raison à cela ?

HN : Oui, je voulais garder une cohérence d’ensemble et une atmosphère cocon pour cet album. Effectivement, mes albums font généralement preuve d’éclectisme et gravitent aussi bien dans la sphère électrique qu’acoustique, mais ici je recherchais vraiment une ambiance avant tout. De plus, je voulais que l’ensemble reste simple, dans le sens : ‘ sans artifice’. Tu sais quand tu as des morceaux aussi énormes que ‘Stayin Alive’ ou ‘Never gonna give you up’ qui ont une charge dansante très prononcée, tu ne prêtes même plus attention à la force de mots. Parfois plus l’approche musicale est foisonnante, moins le texte ressort. Je devais prendre cela à revers, de manière à ce que, en les réécoutant sous un angle différent, les gens se disent : ah oui, mais le texte a aussi un sens profond. ‘Stayin alive’ si tu l’écoutes bien est profondément envoutant;  en chantant ‘ Don’t stop believin” tu te rends compte des respirations qui entre dans le morceaux. Mais pour cela, il faut se débarrasser d’abord des artifices.

SR : Intéressant; cela m’amène à une question ciblée sur le titre “Waiting for a girl like you” de Foreigner qui est déjà une ballade à l’origine. Vous la déconstruisez structurellement et radicalement pour lui donner une texture encore plus aérienne, limite ensorcelante. Comment avez-vous procédé en phase intiale dans ce travail de réappropriation ?

HN : Je cherchais un angle d’approche pour éviter de la calquer, alors je l’ai travaillé au piano. Je ne suis pas pianiste mais il m’arrive de travailler sur piano. Alors je me suis posé et j’ai tatonné : j’ai recherché un motif à faire ressortir. Dans le process, c’est comme rechercher ta propre voie, ton propre son dans quelque chose d’existant. Il faut creuser jusqu’à ressentir l’émotion profonde.

C’est la clé. Dès que tu commences à ressentir quelque chose, là tu peux commencer à te dire : ok, là je vais quelque part, je ne suis plus en train de faire une simple reprise.

Tu dois ressentir le morceau, le laisser exister en toi.

SR : On est également surpris de ne pas voir votre voix suivre sur la ligne épique des mélodies d’origine ( c’est notamment le cas sur la superbe reprise de Journey ) alors qu’on vous sait capable de le faire. Comment garder la force du morceaux en faisant l’économie de cela ?

HN : Bien sûr que j’aurais pu la reprendre de façon épique ( rire ). Pour te répondre, il suffit simplement de l’aborder différemment. Ce morceau je le voulais intime. Pour moi, sa force première est là.

SR : Il y a beaucoup de travail sur l’accompagnement musical sur l’album : violon, piano, congas. Retrouvera t’on ces renforts harmoniques en concert ? Serez-vous accompagnée ou seule à la guitare ?

HN : A la base c’est une tournée solo. Mais il y aura parfois des intervenants sur scène, oui. Sinon, sur les arreangements, je joue moi même quelques titres au piano.

Là encore, c’est un challenge. Je n’ai jamais fait de tournée complètement en solo et quand j’ai pris la décision de le faire, j’étais un peu angoissé, ce qui a mon sens est un bon signal ( rire ).

C’est bien de tenter de nouvelles choses.

SR : Y a t’il des reprises qui ont été écartées de l’album ( et si oui, pour quelles raisons ) ? Et à l’inverse qu’est-ce qui a justifié le choix des morceaux retenus ?

HN : Quelques-unes n’ont pas fonctionné oui. Je ne me rappelle plus exactement lesquelles.

Il est possible de reprendre tellement de titres. C’est difficile d’arrêter son choix sur 12 morceaux précis. Disons que je me suis arrêté sur des morceaux qui me semblaient judicieux car originaux.

Il n’y avait vraiment aucune règle dans le choix définitif. Par exemple, la reprise de Journey est venue par un ami à moi qui m’a demandé si je pouvais la jouer pour son anniversaire de mariage. Je n’étais pas emballée plus que ça, je lui ai dit : ‘ tu sais, je ne suis pas vraiment fan de cette chanson’ ( rire ). Mais il a vraiment insisté en me disant : ‘ s’il te plait, c’est une chanson de mariage’. C’est la simple raison qui a fait que je me suis penché dessus. Je l’ai travaillé à la guitare acoustique et j’ai commencé à me dire : ah oui, les paroles sont vraiment pas mal du tout. Et je me suis mis a l’apprécier.

Mais pour chaque morceaux, il y avait une raison personnelle de le faire.

SR : “Other shores” couvre un spectre large de la musique; à la fois artistique ( on y croise le punk des Buzzcocks et la pop de Rick Astley ) et générationnel ( l’hymne disco-daté des Bee Gees cotoie le rock moderne des Pixies ); des morceaux qui sont liés à une époque et un contexte bien particulier. Comment les fait on coéxister ?

HN : Ce que tu dis est vrai. Il faut s’affranchir de celà; se dire que le lien c’est toi tout simplement. Que les étiquettes de genres et que le contexte n’ont plus cours lorsque tu les réinterprètes. Et c’est de cette façon que le lien entre des morceaux d’aspect initiaux très divers se fait. On est alors suppris de constater à quel point cela se fait naturellement.

SR : Avez vous des anecdotes de session d’enregistrement ?

HN : Bien, comme je te disais, cela s’est fait durant le confinement. J’étais seule avec mon chien, mon fils était occupé avec ses cours en ligne ( rire ). On avait le couvre-feu en plus. Là ou je me trouvais à cette période était un endroit assez petit, il n’ y avait pas de studio pour enregistrer. J’ai du solliciter mon ex-mari qui est ingé-son ( lui avait une petite structure d’enregistrement ), pour lui demander s’il était d’accord pour que j’aille enregistrer chez lui ( rire ). Comme il y avait le couvre-feu, ça m’obligeait à rentrer tôt, avant 22h le soir. Les parties au violoncelle étaient traitées à part, par Midori, a qui j’envoyais les partitions à Londres. Elle les enregistrait de son côté puis me les renvoyait. Mon conjoint lui, qui était confiné au Canada, enregistrait de son côté les parties guitare et basse, et il me faisait suivre ses parties. Donc le process d’enregistrement s’est vraiment fait de manière segmenté, excepté pour mes compositions.

SR : A l’heure de TikTok et de la consommation éphémère et transitoire de la musique en ligne, quelle importance accordez-vous à la mémoire des œuvres ?

HN : Je suis quelqu’un de profondément nostalgique et sentimentale. Très attachée à l’ancienne école.

J’ai un fils de 18 ans, tu sais, il n’écoute pas d’albums. Juste des morceaux qu’il pioche sur Spotify. Je sais que cette approche de concevoir un album, à écouter dans son entièreté, peut sembler datée mais j’y tiens. Je veux vraiment amener l’auditeur vers un voyage, qu’il prenne le temps de s’imprégner de l’album, se plonger dans une ambiance. Même le choix de l’ordre des morceaux est pensé. Après, je ne sais pas si j’y suis parvenu ( rire ) mais c’est en tout cas mon objectif.

Sur la porté des morceaux dans le temps … Je ne saurais pas te dire si les jeunes de l’âge de mon fils auront la même relation dans 20/30 ans avec les chansons qu’ils écoutent actuellement. J’ai connu un temps où on pouvait écouter 20 fois la même chanson d’affilé, on y revenait même à des âges différents. J’ai le sentiment que les choses vont beaucoup plus vite maintenant, tout semble plus éphémère.

SR : Nous vivons la dématérialisation du disque pourtant vous attachez un point d’honneur à sortir tous vos récents albums en format physique. Quel rapport entretenez vous avec ce format ? 

HN : J’y attache de l’importance oui. Et il me semble que c’est un sentiment partagé, on revient clairement à une consommation physique de la musique, comme le vinyle. Il y a ce besoin de tenir un objet en main, de le regarder, de le mettre physiquement sur sa platine.

SR : Vous faites partie de ces artistes qui ont vécu la chute des maisons de disques et l’émancipation des artistes à travers les nouveaux réseaux sociaux. Après avoir longtemps était signé chez V2 Musique une division du groupe Virgin, cela fait pas mal de temps maintenant que vous gérez vos sorties d’albums de manière 100% indépendante; vous êtes même passé par le crowdfounding pour certains projets. Est-ce que cela vous a permis une plus grande liberté dans vos choix artistiques ?

HN : Tout à fait et c’est très important pour moi d’être indépendante. Je me souviens de l’époque où j’étais sur une major et c’était souvent source de conflits. Sur la direction artistique que devait prendre mes albums par exemple. Je devais entrer en négociation avec le producteur; je n’ai plus du tout ce genre de problématique désormais. Cela n’a jamais été mon intention en tant qu’artiste de suivre une voie toute tracée, faire ce qui marche afin d’atteindre des sommets de popularité. Mon ambition c’est simplement de faire de la musique, sortir des disques et d’essayer de toucher les gens émotionnellement. Alors oui, je n’ai certes pas le même support financier mais j’ai le contrôle sur tout et je me sens bien plus à l’aise ainsi.

SR : Et justement, vous bénéficiez d’une fan-base qui vous est restée très fidèle à travers le temps et ce malgré une couverture médiatique beaucoup moins importante. Quel regard portez vous sur cette constance ?

HN : Je suis émue et très reconnaissante. Cela me touche personnellement en tant qu’artiste d’être reconnue mais aussi soutenue dans le temps. Donc vraiment, je saisie l’opportunité de cette interview pour le redire : merci à toutes celles et ceux qui me suivent depuis toutes ces années.

Entretien recueilli à l’Alhambra.

Un grand merci à Heather pour sa gentillesse et sa disponibilité, ainsi qu’à Olivier Garnier pour l’accueil et pour avoir permis cet entretien.

Heather Nova poursuit actuellement sa tournée européenne et sera de passage le 18 novembre à Strasbourg à la Laiterie et le 19 novembre au 106 de Rouen.

Crédits photos : Olivier Lescroel

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