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LES EUROCKEENNES DE BELFORT, Vendredi 4 juillet 2014 (par Caroline Dreux)

Quand on part faire ses 9èmes Eurockéennes de Belfort, on s’attend à vivre un certain nombre de choses. Une météo capricieuse, la rencontre avec des énergumènes en tous genres (aliens, super héros, danseuses en tutu rose, animaux de tous poils, j’en passe et des meilleures !), des odeurs de frites, de Kebab, et de substances plus illicites, des bains de boue (la plupart du temps involontaires mais pas toujours), des vêtements imbibés d’un mélange alcoolisé non identifié, des files d’attente en tous genre…et bien sûr, quelques bons moments de musique et de fête !

Pourtant, on a beau se préparer et se blinder aux multiples péripéties qui nous attendent, on est jamais totalement au bout de ses surprises quand on fréquente le festival belfortain. Il faut dire que cette année j’ai décidé de mettre un peu d’inédit dans cette aventure qui devient petit à petit une institution dans ma vie. En bref, comme dans une vie de couple, il faut parfois savoir pimenter sa vie « eurockéelle ».

Pour commencer, j’ai choisi de tester un nouveau mode de transport. Emprunter « ces petits chemins qui sentent la noisette » à bicyclette. Et oui, le vélo a la cote et comme des côtes il n’y en a justement pas entre Belfort et la presqu’île de Malsaucy, ça tombe plutôt bien. Après une petite balade fort agréable de 25 min environ et mon vélo rangé avec des centaines ? (milliers ?) d’autres dans le parc à 2 pas de l’entrée du site, je suis convaincue par cette expérience écologique et salutaire. Sans parler du temps gagné à ne pas attendre une navette parfois fictive au beau milieu de la nuit ! Evidemment, ce coup d’essai aurait été parfait si quelques festivaliers pas concentrés ou un peu (beaucoup ?) éméchés n’avaient malencontreusement attaché leurs vélos au mien…conclusion, me voilà avec les bénévoles du site à braquer mon propre vélo à presque 3h du matin !

Mais revenons-en à ce qui nous occupe et voyons quelles surprises nous a réservées ce vendredi 4 juillet aux Eurockéennes. Lors de mon arrivée, je sens dans l’air une certaine déconcentration. Il est 18h. Les premiers concerts ont démarré sur la grande scène mais bizarrement, les parterres sont encore clairsemés. Football oblige, les bars munis d’écrans sont pris d’assaut. J’entends des chants patriotiques alors que je gagne la plage. Et au bleu des affiches des Eurockéennes se joignent le blanc et le rouge. Je ne suis pas atteinte par cette fièvre-là, mais j’ai hâte de découvrir Temples sur scène. Les (très) jeunes britanniques jouent une pop psyché plaisante mais qui manque sérieusement de débridement. Les morceaux sont joués un peu scolairement et le manque d’expérience scénique ne permet pas de capter réellement l’attention d’un public qui regarde plus souvent du côté du bar que du côté des musiciens. Ce qui est fort dommage car il règne une atmosphère euphorisante. Le soleil brille entre 2 averses, les shorts cohabitent avec les bottes en plastique, la France n’est menée que d’un but, la soirée ne fait que commencer et tout est encore possible.

C’est habitée de cet espoir que je vais assister à la prestation de Findlay sur le Greenroom. Le groupe de Manchester emmené par Nathalie Findlay dit jouer un rock garage. J’y trouve moi une tessiture un peu blues. La charismatique chanteuse n’a d’ailleurs pas le look garage dans sa petite robe noire. Ses déhanchés et sa voix particulièrement sensuelle me font qualifier leur musique de sexy rock. Quoiqu’il en soit, c’est puissant et enlevé. Nathalie Findlay n’a pas froid aux yeux et la reprise osée et parfaitement assumée de The Stooges « I wanna be your dog » offre une conclusion remarquée à cette formation que l’on suivra avec attention.

De retour sur la plage, la soul est à l’honneur ce soir, d’abord avec le crooner et songwriter Benjamin Clementine. Le « black power » s’invite à Malsaucy. Non pas que l’anglais d’origine ghanéenne soit spécifiquement revendicatif (sans mauvais jeu de mot, sa musique s’inspire d’ailleurs plus volontiers de la poésie de William Blake que des panthères noires) mais l’homme à la peau d’ébène s’est installé devant un piano noir devant un fond noir et derrière la scène, le ciel a pris une teinte du même acabit. Tout cela sert le romantisme du set piano-voix de l’artiste, dans cette idée de la fragilité qui nous habite face à des éléments et des émotions qui nous dépassent souvent. Le chanteur dans une véritable démonstration vocale lutte ainsi contre une voûte nuageuse qui semble fondre sur le public à une vitesse prodigieuse, il lutte encore contre les accents rageurs des guitares des Pixies. Benjamin Clementine est touchant. Il offre pour finir aux belfortains qui n’ont pas encore fui (ou qui ne se sont pas envolés) une reprise sincère et attendrissante dans un français maladroit de la plus célèbre chanson de Charles Aznavour « Emmenez-moi ».

Après un bref passage au bar qui offre un abri précaire mais indispensable aux trombes d’eau qui tombent désormais sans discontinuer sur la presqu’île et une partie de babyfoot rapidement avortée, retour sur le sable mouillé. The Daptones Soul Revue accueille toute la soirée des invités de marque. Ainsi, Charles Bradley ancien cuisinier, chanteur dans l’âme depuis sa rencontre avec James Brown en 1962, poursuit sa carrière tardive sur une scène des Eurockéennes. Le revival de la soul des années 60-70 est parfaitement assumé : voix du maître Brown, éraillée et énergisante, combinaison rouge à paillettes du plus bel effet, accompagnement musical aux cuivres langoureux. Cette nostalgie donnerait presque envie de voir l’ensemble en version noir et blanc à la façon de la célèbre émission des années 60 Soul Train. Bradley a les yeux qui brillent autant que les strass de son habit. Il dégage une énergie incroyable pour ses 66 ans. Le jeu scénique est parfaitement rôdé sans perdre pour autant de sa spontanéité (comment oublier le magistral grand écart offert par l’artiste entre 2 pirouettes ?!). Après près d’une heure de performance, Bradley s’exclame « It’s not fair ! » , « Ce n’est pas juste. Je suis là alors que vous restez sous la pluie. » Sitôt dit, il se précipite au bas de la scène pour prendre un bain de foule qui se transforme assez vite en bain tout court. Je quitte la plage le sourire au lèvre en espérant que le soulman sache nager.

J’ai alors eu la prétention de jeter un œil sur le concert de Stromae. Quelle folie ! Le parterre de la grande scène était devenu inaccessible. Je l’ai rarement vu aussi rempli. Conclusion, impossible de voir quoi que ce soit (même les écrans géants deviennent un luxe) et j’entends plus chanter les fans (nombreux) autour de moi que l’artiste belge qui fait son show sur scène. Après une brève résistance, je renonce et c’est à l’espace presse, au sec, que j’apprécie finalement par écran interposé la qualité du spectacle du showman. Changement de décors par écran géant, chorégraphies, mises en scène, costumes, servent les histoires racontées par le chanteur. Le public se défoule régulièrement sur des titres désormais incontournables (« Tous les mêmes », « Papaoutai », « Alors on danse »…). Qu’on apprécie ou pas le style Stromae, il faut reconnaître que ce jeune homme de seulement 29 ans sait communiquer son univers et le fait avec une certaine maestria justement. En témoigne l’énorme nuage de vapeur émanant de la foule qui a oublié pendant un temps la pluie, le froid, la boue, envoûtée et surchauffée par un set aussi professionnel que spectaculaire.

Je conclus la soirée avec le concert de Détroit, nouvelle formation désormais célèbre de Bertrand Cantat. Ce dernier avait fait son come back aux Eurocks il y a 2 ans en accompagnant le couple malien Amadou et Mariam. Les retrouvailles controversées mais attendues avec le public laissaient présager un concert mémorable. L’intervention des intermittents juste avant le concert sous la bénédiction du subversif chanteur donne le ton. Que dire de cette prestation ? La question semble plutôt être celle de ce qu’on pouvait en attendre. Beaucoup semblaient attendre un retour de Noir Désir, comme si les choses pouvaient reprendre là où elles s’étaient arrêtées aussi simplement que ça : « Soyons désinvoltes. N’ayons l’air de rien ». Le slogan de « Tostaky », psalmodié en conclusion du set résonne comme un slogan un peu ironique. Ironie de l’histoire, ironie des circonstances. Car Noir Désir n’est plus. Il faudra faire avec. En dépit des quelques reprises (« Le vent nous portera » entre autres en tout début de concert), on sent que c’est Detroit qui tient le gouvernail. Alors oui, le rock est plus sage, plus professionnel, un peu moins grinçant, mais la poésie noire n’a pas disparu et la puissance sonore est au rendez-vous, les vibrations envahissent toujours autant nos cages thoraciques. Certains morceaux gardent en eux, tel un patrimoine génétique imprimé au cœur de leur identité musicale quelque chose de NoirDés’. Leur personnalité est différente cependant, et il nous faudra apprendre à connaître ce cousin éloigné. Dans son souci de discrétion, l’ensemble du set de Detroit fut sobre, et peut-être un peu trop. La décence amène parfois à l’indifférence. Detroit n’en est pas encore là, ils terminent, polémiques en arborant les t-shirts de soutien aux intermittents. L’engagement de Bertrant Cantat et de sa formation musicale laisse à penser que l’aventure est loin d’être terminée. La mienne non plus !

A suivre…

 

Caroline Dreux

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