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INTERVIEW – UNDERVOID – part2

Second temps de l’entretien réalisé en décembre 2020 avec Undervoid.

Ci-joint le lien de la première partie consacrée au début du groupe ainsi que ses connexions. 

Bonne lecture.

 

Sensation Rock – Avant d’évoquer vos références musicales, je voulais savoir dans quelle mesure la piraterie – peut être au sens large et pas seulement fantasmée, romantique – est une influence qui infuse dans l’identité visuelle d’Undervoid (le logo du groupe, proche d’une tête de mort sur un drapeau noir), voire dans son ADN? Cette piraterie est présente aussi dans quelques vers de l’album… Il semble y avoir un flirt avec ses codes qui ne sont pas sans rappeler ce que peut être le mouvement anarchiste qui s’est développé à partir du XIXe siècle.

Pierre-Joseph Proudhon

Arnaud – C’est pas faux. Il y a des analogies avec ce qui est apparu du temps de la piraterie, au-delà des romanciers anglais qui avaient développé une première forme de fantaisie avec le personnage du corsaire des XVIIe et XVIIIe siècles. A l’époque il y avait encore le joug très pesant de l’Eglise. C’était les premiers équipages multiculturels, multi-religieux, les premières femmes au pouvoir ou qui n’étaient pas issues de sang bleu, les premiers esclaves libérés de leurs chaînes, … C’était une marine de guerre abandonnée une fois les conflits passés, laissée dans la misère et qui a réussi à s’organiser, à survivre en développant au passage des valeurs plus profondes, viscérales, en lien avec la masse qui affronte les choses. En somme ceux qui ne sont pas sur un trône, une élite. (…) Tu as raison avec le mouvement anarchiste aussi : Proudhon est pour moi d’une grande influence. D’autres auteurs inspirent également les textes d’Undervoid. On va piocher dans tous les univers afin de trouver le lien commun: le peuple, le vivre ensemble, la volonté civilisationnelle à travers les âges ralliant les hommes dans leur courage.

Marc – Et puis il y a avait le logo à la base, un peu malgré nous. On n’a pas démarré Undervoid avec une imagerie très construite, si ce n’est le fait de chanter en français, etc. Arnaud a trouvé le logo assez rapidement, il a bien collé à l’idée de sortir de nulle part, ce que tu expliquais juste avant, l’idée de société différente, avec d’autres choses possibles, le fait de se soutenir, complètement en marge de ce qu’il se passe dans la vie actuelle, le boulot, toutes ces merdes-là que l’on a eu tendance à rejeter en bloc. Tout cela a emergé quand on s’est rencontré et désormais ça transpire dans Undervoid. Cette volonté d’être marginal mais pas bêtement, avec des valeurs à porter. La piraterie, avec le côté « à l’abordage » non merci, mais une question de valeurs, d’idéaux. Et puis ce rond, cette croix sur un fond noir, c’est simple mais fort. C’est très identifiable.

Arnaud – Ce zéro, ce cercle qui tourne dans le vide, à l’image de la société, c’est un peu le vortex dont personne ne sort. On est tous pris à l’intérieur, que l’on en soit ou pas, on n’a pas bâti ce monde mais on arrive dedans. C’est peut être une volonté avec cette croix d’en sortir, d’être plus humble que ceux qui veulent être au-dessus des lois.

 

Sensation Rock – De l’imagerie aux influences, finalement il n’y a qu’un pas. Depuis vos EPs et désormais maintenant avec ce premier album, les références sont franches tant pour la musique que les paroles. Les riffs, les effets renvoient à Rage Against The Machine, No One Is Innocent ou Noir Désir également au travers de textes contestataires, engagés, remettant en cause les modèles politiques, industriels, économiques, … en un mot, capitaliste.

No One Is Innocent, Propaganda (2015)

Marc – Rage Against The Machine, comme une évidence; c’est une grosse vérité qui mettra tout le monde d’accord. Leur musique est survitaminée, ça emporte la foule et le côté contestataire des paroles également nous fascine. Quant aux influences françaises, c’est indéniable pour No One. Quand ils ont sorti Propaganda en 2015, on a tous écouté avec une oreille très attentive, on était très agréablement surpris et même si l’on ne s’est pas dit « c’est un truc comme cela qu’il faut que l’on fasse », indirectement ça nous a influencé. Quant à Noir Désir, …

Arnaud – Noir Désir beaucoup moins. C’est vrai qu’on nous évoque cette référence souvent. Perso, pas tant que ça. Il y a plein de morceaux que je connaissais déjà, mais…

Mathias – C’est pas une influence majeure.

Marc – Franchement, on en a tous écouté. Evidemment parce que le texte en français, c’est du rock qui sonne grave, … on fait du rock français, on ne peut le nier. On s’en fait souvent la réflexion, mais on est beaucoup plus influencé par les groupes américains et anglais.

Arnaud – Même pour Noir Désir, je pense qu’il y a d’abord des influences anglo-saxonnes fortes et c’est ces choses-là qui doivent nous rapprocher (il s’éclipse un instant pour ravitailler le groupe en bières).

Marc – On a fait la première de No One et lors de notre échange avec Kemar, le chanteur, on s’extasiait mutuellement en parlant des Rage. Il les avait vus en 1993 à l’Elysée-Montmartre. Je me suis dit alors : on n’est pas de la même génération, mais on partage les mêmes influences, on vient du même tonneau.  

Alex – Bertrand Cantat a mis au point un style d’écriture et de chanson qui a influencé les suivants : Eiffel, Saez, … Les groupes d’après ont repris ses codes. Noir Désir a créé quelque chose qui a tracé un sillon, bien qu’aujourd’hui beaucoup aussi cherchent à s’en démarquer.

Mathias – Ces influences reviennent toujours : Trust, No One, Noir Désir… Au final, ce qui rapproche Undervoid de ces groupes ce sont leurs propres influences, encore une fois britanniques et américaines.

 

Rage Against The Machine, Rage Against The Machine (1992)

Sensation Rock – Pour conclure avec cette référence française supposée, c’est aussi le choix des mots qui m’y a fait penser. Par exemple sur le dernier titre, La machine, l’emploi de « A la longue », « l’alarme incendie » auraient pu être des clins d’œil à la prose de B. Cantat?

Arnaud – De ces deux titres, je connaissais L’incendie mais pas A la longue. Personnellement, j’ai découvert le rock hexagonal très très tard. Côté musique française, j’ai commencé avec les anciens, Brel, Brassens, etc. parce que j’ai grandi chez mes grands-parents et que c’était la musique qu’ils écoutaient. Même Téléphone, j’ai découvert tardivement, bien après les musiciens américains…

 Marc – Pour revenir à ce titre, La machine, la dédicace est directe : les Rage. Tant pour le titre que les accords en deadnotes avant le solo comme sur Killing in the name, etc.

 

Sensation Rock – Ok, je me suis fourvoyé… mais pour la guitare, il y a bien du Led Zep ?!

Marc – Je n’ai appris la guitare qu’avec Led Zeppelin. De 12 à 15 ans, je n’ai joué que ça à la gratte, sincèrement. Jimmy Page est mon maître et à jamais (sourire).

 

Sensation Rock – En lisant les crédits de l’album, la référence à RATM est ouvertement déclarée avec cette note : « Tous les morceaux ont été enregistrés en live. Aucun sample, aucune machine n’ont été utilisés sur cet enregistrement ». On croirait lire les commentaires du livret du premier disque des Rage (RATM, 1992).

Marc – Bravo ! C’est le petit hommage à la con qu’on a essayé de glisser. C’était marrant mais c’était aussi notre démarche sur cet album : dire que c’est juste quatre mecs enfermés dans une pièce qui ont joué et c’est tout. On a doublé les guitares, les voix mais on n’a pas triché. Il n’y a pas eu d’étape de mix qui dure 3 plombes.

 

Eiji YOSHIKAWA, La pierre et le sabre (1935)

Sensation Rock – Arnaud, tu m’as confirmé que tu écrivais seul les textes. Quels sont tes lectures, les œuvres, les auteurs qui conditionnent ton travail ?

Arnaud – Je lis vraiment de tout en soi. J’aime beaucoup la philosophie, les auteurs grecs, notamment les pièces de théâtre dans lesquelles il y a avait déjà tout d’écrit et les racines étant encore saines. Nos racines contemporaines font pousser un arbre de connaissance qui va dépérir tout seul. On parlait avant des Proudhon, Nietzsche, … Actuellement je suis sur Spinoza. Je pourrais difficilement te dire ce que j’ai lu de chaque auteur… J’ai rarement lu des auteurs dans leur intégralité… Sauf peut être Rimbaud, Verlaine, La Fontaine, les bandes dessinées de mon oncle. Aujourd’hui je lis La pierre et le sabre, un classique japonais. Je suis rarement enfermé dans une seule lecture. C’est vrai que pour Undervoid souvent il y a des thèmes qui se dégagent. Aussi je privilégie tel ou tel ouvrage car je lis plusieurs bouquins en même temps.

 

Sensation Rock – Y aurait-il aussi des films ? J’explique ma question : selon moi, en extrapolant plusieurs textes pourraient renvoyer à des classiques comme Les temps modernes sur le titre La machine (notamment le passage dans lequel Chaplin semble se faire dévorer par la chaine de montage ; les séquences avec l’incontournable pointeuse, …). J’ai pensé également à Zola avec Germinal, voire Metropolis.

Fritz LANG, Metropolis (1927)

Marc – T’as raison. Ce sont des œuvres tellement incontournables, qu’elles ont influencé beaucoup de monde. Tu écoutes La machine, tout l’univers de l’usine, les machines, les rouages, forcément ça renvoie aux Temps modernes.

Mathias – La première fois que j’ai entendu ce titre,  côté musique j’ai pensé à RATM. Du point de vue du texte c’est aussi le premier truc auquel j’ai pensé, Chaplin.

Arnaud – Dernièrement, je matais du Buster Keaton, tu me diras qu’il n’y a pas vraiment de dialogues mais il y a une magie. C’est vrai également pour Les temps modernes, que tu évoquais, c’est une oeuvre monstrueuse. La machine c’est davantage du vécu qu’une véritable référence à Chaplin. J’ai fait de l’usine, et c’est peut être aussi un hommage plus personnel  à mon grand-père qui était ouvrier et qui m’a transmis ses valeurs. Fritz Lang, c’est majeur. Tu citais Metropolis, c’est une œuvre qui est actuellement en train d’inspirer une compo du nouvel album…

Marc – On ne vient pas d’un milieu bourgeois, on est plus des enfants d’ouvriers. Cet univers nous touche et nous avons voulu le mettre en avant, enfoncer le clou ! Du moins, à notre humble mesure. C’est clairement des thématiques importantes pour nous. 

 

Undervoid, Le noir se fait (2020)

Sensation Rock – Si l’on reste du côté des arts qui sont connexes à la musique, parlons du visuel du disque. Le noir se fait a été gratifié d’une pochette bien plus élaborée que les précédentes. Elle est très chaotique.

Marc – On a contacté Alexandre Goulet, un artiste québécois afin de parler du projet de la pochette. Après avoir beaucoup échangé ensemble, on a voulu laisser libre cours à l’artiste et il nous a proposé une version proche du rendu final. Son univers personnel est davantage orienté en direction du punk hardcore ce qui se voit clairement. On s’est posé la question de savoir si ce choix allait correspondre au mieux à notre musique, à ce que l’on voulait faire car ça tranchait vraiment avec les visuels des EPs… En définitive, il a réussi à mettre un peu tous les morceaux dans cette pochette, comme un grand tout chaotique, avec une imagerie qui laissait pas mal de place à l’interprétation personnelle. Sans forcément non plus tomber dans une espèce de revendication un peu bête et méchante avec une pochette engagée. On a voulu quelque chose d’assez ésotérique. Le résultat final nous a laissé sur le cul. On savait aussi que ça pourrait dérouter les gens qui nous suivaient depuis longtemps et qui ne s’attendaient clairement pas à cela. Un peu comme un contrepied.

Arnaud – c’est très undervoidien le contrepied (rires).

Marc – Mais c’est vrai : ça c’est concrétisé avec le premier single que l’on a sorti, aux antidotes de ce que l’on avait l’habitude de proposer. Prendre LE morceau calme de l’album, on savait que personne n’allait nous attendre avec ça. (…) Respect à l’artiste car il a compris ce que l’on voulait, notre musique et la retranscrire dans une œuvre sans directives très assumées à la base.

Arnaud – Alexandre Goulet. Allez voir son compte instagram !

(Undervoid, Un regard a suffi)

 

A suivre la troisième partie de cet entretien centrée sur leur premier album, Le noir se fait.

-Propos recueillis puis retranscrits par Benoît GILBERT

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