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JOHN MAUS + KATE NV , jeudi 7 juin 2018, La Vapeur, Dijon (21)

Dans la famille des outsiders de la post-pop à laquelle appartiennent Ariel Pink, Molly Nilson, Grimes ou Alex Cameron, la liste s’étoffe au-fur-et-à-mesure ce soir avec deux nouveaux membres des crooner-euse-s magnifiques.

Nous n’avions pas vu La Vapeur depuis sa rénovation, et c’est une belle surprise qui nous attend : maintenant érigée sur deux niveaux, avec une grande salle de 1200 places en bas et un club pouvant contenir jusqu’à 250 personnes à l’étage supérieur. Pour y accèder, les spectateurs déambulent sur de beaux espaces aérés, dont une zone de chill-out aménagée avec tables et terasse pour les fumeurs. Bien entendu, les deux ovnis que nous nous apprêtons à voir se démener sur scène ce soir occuperont le club (qui n’est pas sans rappeler celui de La Laiterie, à Strasbourg, avec une scène peu surélevée et un bar placé à l’intérieur même de la salle).

Mais revenons-en à notre terme de “post-pop”, ou d’ “art-pop”, dans cette tension à tenter (en vain ?) de qualifier ce que nous entendons.

L’étonnante Kate NV commence à 20h30 sur des sons de clochettes (Bells Burp) auxquels s’ajoutent des gongs qui émettent illico la dualité de sa musique, partagée entre la Russie et le Japon. Russe, par sa nationalité ; Kate Shinolosova alimente ses expérimentations de J-pop, ce qui crée un mélange surprenant, une synthpop sautillante. On reconnaitra d’ailleurs les quelques mots basiques japonais que l’on peut connaître (“sayonara”). Ses airs restent en tête, propres à des danses enjouées dont elle ne se privera pas sur la fin du set, animée telle un pantin.

Environ une heure plus tard, c’est l’un des artistes qui combinent deux casquettes a priori contradictoires qui vient nous bousculer. Si vous pensez aussi, à l’instar de Michel Audiard, “heureux soient les fêlés, car ils laisseront passer la lumière”, alors votre place était à La Vapeur ce jeudi 7 juin.

D’un côté, des compositions fouillées à l’extrême (jusqu’à se fondre dans les principes du Gradus ad Parnassum, un traité de composition musicale datant de 1725), une démarche intellectualisante dans sa recherche sonore sur l’agencement des harmonies. De l’autre, une perception de la scène comme espace cathartique. C’est très simple : John Maus hurle et se démène. Que ce soit pour se taper la tête, s’arracher à moitié la chemise, s’époumoner hors-micro, secouer ses bras dans tous les sens ou s’arroser d’eau, il n’y aucun instant de répit. Dans ces conditions, il est difficile de photographier ce qui devient une masse d’énergie hyperactive et qui fait forte influence sur un public s’essayant à toutes les chorégraphies qui lui passent par la tête tout au long d’une setlist remuante (Outer Space, Teenage Witch –le titre qui a suscité le plus d’enthousiasme, Sex with God, Time to Die, Bennington…)

Petit topo historique sur ce personnage, weirdo qui nous rappelle forcément Alex Cameron pour la présence scénique déjantée et illuminée. En 2011, We Must Become the Pitiless Censors of Ourselves fait référence à Alain Badiou (Quinze thèses sur l’Art contemporain) troisième album persistant dans l’élaboration de nappes synthétiques sur lesquelles poser une voix grave (dans les deux sens du terme). Le temps de soutenir une thèse de 320 pages en 2014 à l’Université de Hawaï (en philosophie politique, intitulée Communication and Control, cela a son importance pour comprendre la thématique de Screen Memories sorti en 2017) et le revoilà donc, avec un Screen Memories en forme de requiem : « c’est une manière de contrer ce fascisme déguisé en bien-être, ces pubs incessantes qui ressemblent au meilleur des mondes, avec des enfants radieux qui dévorent joyeusement leurs corn flakes devant un iPad pour mieux nous faire oublier ses atroces conditions de fabrication». Ce sera ensuite au tour d’Addendum d’émerger en 2018 (12 titres issus des sessions de Screen Memories, composés sur les synthés modulaires qu’il a lui-même créés).

Mais il y a aussi de la fantaisie chez Maus, celle-là même que l’on remarque en exergue de sa thèse, une citation de Walter Benjamin : “The hours that hold the figure and the form / have run their course within the house of dream”. The house of dream, c’est peut-être le champ vide que la scène lui offre, où tout est permis, de l’absurdité au lâcher-prise ?

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