Logo Sensation Rock

Eivør + ElinBorg, Mardi 19 Novembre – La laiterie – Strasbourg(67)

Eivør + Elinborg

Mardi 19 Novembre 2019 – La Laiterie, Strasbourg – Club

Petit retour sur un concert discret mais marquant de la fin de l’automne 2019 à la Laiterie de Strasbourg.

Mardi soir 19 novembre, veille de sortie de la suite tant attendue (pas pour les parents) de La Reine des Neiges ou Frozen, le film d’animation qui a autant relancé la souris la plus côté en bourse que le récent “Baby-Yoda” a littéralement cassé les internets. Alors que la voix du film et interprète du tristement inoubliable « Libérée, Délivrée » est en showcase promo’ à la Fnac de Strasbourg ce même jour. Une autre belle voix, plus nordique et donc moins française, prend quant à elle ses quartiers du côté de la Laiterie, l’insupportable tube Disney en moins dans la setlist. Ouf ! On a choisi notre géo-localisation du coup.

A peine la voiture garée sur les coups de 19h00 qu’une épaisse forêt de manteaux est déjà massée devant l’entrée-arrière cette petite salle au charme certains. Une bonne demi-heure avant l’ouverture des portes donc, l’attente de ce show intimiste se fait pressentir. La soirée affichant encore une fois “complet”, une habitude pour le Club de la Laiterie ces derniers temps. Salle bis, à taille plus humaine et qui profite largement de sa programmation d’actualité en musiques dîtes «urbaines» comme en pépites et belles voix issues de la scène indie. A l’image de la prestation sublime de l’intrigante néo-zélandaise Aldous Harding quelques jours plus tôt.

Tandis que certains blousons à patch et porteurs de t-shirt d’obscures groupes Stoner européens se rendent compte qu’ils sont du mauvais côté de la rue du Hohwald et sont redirigés vers la grande salle ou les teutons rutilants de Kadavar reviennent proposer une brochette des tracks de leur dernier album. Un même constat cependant des deux côtés, un public largement germanophone répond présent sur les deux files d’attentes. Un petit goût d’Europa-Park en automne finalement… La furie est à une rue de là, de ce côté, ce sera la poésie qui nous attend. Wodan Vs. Spectacle sur Glace si l’on pousse la comparaison hasardeuse.

Ce soir, la belle occasion, c’est une tournée confidentielle de quelques dates pour la mystique chanteuse des Iles Féroés, Eivør Pálsdóttir au nom de scène simplifié, Eivør. Tout simplement.

Le temps de tomber les manteaux, c’est dans un Club déjà bondé que démarre à 20h00 la première partie de la soirée avec Elinborg. Une jeune femme dont la blondeur et la figure ne trahira pas ses origines. Une plate surprise puisque celle-ci apprendra à son audience qu’elle est tout simplement la petite sœur d’Eivør. Celle-ci l’accompagnant donc sur cette mini-tournée européenne de quelques dates.

Avec une voix tout aussi angélique et puissante, Elinborg sera donc notre Anna de la soirée (oui, on garde la thématique « Frozen » jusqu’au bout). Bien que plus enfantine dans le timbre comme dans la représentation moins en contrôle. Un set plus pop ou celle-ci abandonnera volontiers sa guitare actoustique pour lancer des down-tempos sur ses deux dernières chansons plus « urbaines » voir « trap » dans la trame de fonds et superposera quelques boucles rythmiques pour donner plus de densités à ses compositions minimalistes.

Un petit set de 5 chansons pour 20 petites minutes. C’est maigrichon mais suffisant pour découvrir le potentiel de la jeune chanteuse qui semble encore prendre ses marques, tenue “menue” entre le public et le pedalboard massif de sa sœur. Heureusement, nous aurons l’occasion de revoir Elinborg en duo avec sa sœur sur un titre par la suite. On en aurait quand même demandé du rab’…

 

30 minutes de creux, et c’est notre Elsa, Reine des Neiges d’un soir qui se pointe tranquillou. Cheveux d’un blanc-gris brillant, détachés et robe étincelante. Contraste saisissant d’aisance et de présence scénique avec sa soeurette juste avant même de toucher le micro. Il faut dire que la Elsa, elle a de la bouteille mine de rien ! Récap’.

Eivør Pálsdóttir, dont on ne doutera pas de l’annoncer officiellement comme la chanteuse la plus connue et reconnue des Iles Féroé est une sorte d’emblème totémique à la Björk en ses terres. Enfant précoce, elle connaît la scène très jeune en embarquant dès son adolescence dans une tournée européenne en tant que soliste sur différents projets d’Opéra et de Jazz.

Touche-à-tout, elle embarque aussi au chant au sein du groupe Clickhaze pour apprivoiser le monde de la guitare et de la distorsion. Elle se fera aussi les dents lors de prestations avec le groupe Yggdrassil et les oreilles sur de nombreux standards du Jazz.Au milieu des années 2000, elle multipliera les apparitions dans des pièces d’Opéra ainsi que des rôles de solistes au sein de Big Bands à travers le monde. Additionnant durant des années les prix et les nominations lors de différentes récompenses annuelles chez nos chers voisins nordiques, Eivør multiplie donc les projets et les genres pour sono-former sa voix au grès de ses rencontres musicales. Ce qui se ressent parfaitement dans ses albums studios, loin du simple gimmick pagan ch’nordique à la mode depuis quelques années.

Bien que tournant depuis plus de 15 ans, c’est véritablement suite à la sortie de son album « Slør » en 2015 que celle-ci trouvera un écho conséquent auprès du grand public. Album à succès qui la poussera à le ré-enregistrer deux ans plus tard en anglais cette fois . Et tandis que la même année les spectateurs de la BBC la découvre en parallèle au générique de la série The Last Kingdom, c’est à travers la superbe B.O. du mythologique 3ème opus du jeux-vidéo God Of War en 2018 qu’elle élargie encore une fois son audience et se taille une nouvelle place forte dans les voix de la « Pop Culture » au sens large au même titre qu’une Anaïs Delva, la voix VF de la Reine des Neiges. La Boucle est bouclée !

 

Suite à la sortie d’un album Live paru cette année et après une tournée avec ses musiciens, la musicienne est de retour en Europe en cette fin d’automne pour proposer une relecture en solo de sa discographie à travers quelques dates au format plus intimiste.

Tout sourire, Jet-laggée, c’est donc seule au centre de la scène que s’annonce Eivør. Rapidement, elle capte la lumière bleutée qui dessine des reflets d’argents dans sa chevelure de blizzard du nord. Vêtue d’une tenue noir corbeau, l’envoutement de la sorcière à la voix de vierge de la toundra prends vie dès les premières notes.

Son ADN rock (héritage de Clickhaze) se constate aussi bien dans le choix de son instrument fétiche ce soir avec une belle Jazzmaster, qu’à ses pieds ou là une véritable tour de contrôle parfaitement calibrée l’entoure. Entre StompBox cachée sous sa longue robe, un parterre de potards dont on reconnaîtra le fameux POG d’EHX pour les simulations synthétiques. Objet fétiche du Jack White des 2000’s. Mais aussi des compresseurs, delay, rotary, reverb … Ride n’a qu’à bien se tenir ! Même dans son jeu, ce côté percussif est une notion intégrante du personnage scénique.

Elle mêlera dans son set des chansons en langue anglaise pour la moitié, en danois et enfin en féroïen pour l reste, sa langue natale. Le single « Í Tokuni » sera bien évidemment de la partie avec ses superbes interjections gutturales . Tout comme « Trøllabundin », son tube le plus streamé à l’heure actuel. Force est de constater que ces titres et le reste des titres en Danois furent les plus applaudis et les plus intéressants du set de l’artiste en dehors des intrigantes reprises. La langue anglaise faisant sans doute perdre la magie du dépaysement que l’on accorde par défaut au Danois. Langue percussive en l’espèce.

 

Percussion on y revient, de l’utilisation d’un instrument percussif dont on vous dira que c’est de la peau de renne (sans vérifications, mais pour le côté folklo’), le tout triggé pour en permettre les variations. C’est aussi la boîte à rythme électronique qui dénote ce côté traditionnel et évite aux pistes de ne devenir que des ballades mignonnette enrôlées de cordes. On préférera Eivor dans son rôle d’ambassadrice lyrique à la voix de Soprano clair comme de l’eau de roche dans sa langue natale.

Comme l’explique l’artiste sur scène, cette tournée Solo est aussi l’occasion pour elle de se faire plaisir et de ne pas suivre manu militari la setlist. Faire fi de ses musiciens a un côté libératoire pour Eivor qui en profitera pour glisser deux reprises d’artistes lui tenant à cœur. La première, du regretté Leonard Cohen « Famous Blue Raincoat » et le dépressif « Gloomy Sunday » de Billie Holiday (non pas Billie Eillish !). Non sans humour, celle-ci nous évoque par ailleurs son jet-lag, revenant tout juste de la côte Ouest des États-Unis.

Le set semble se terminer, au final quelques petits pains, quelques moment d’égarements avec sa StompBox et ses effets dont elle avoue avoir un petit penchant pour ses pédales d’échos. Oui, oui. Ces quelques fausses notes qui n’enlèvent en rien la grandiose prestation scénique de la Féroïenne.Un premier rappel composé d’une chanson traditionnelle féroïenne. Puis un 2ème rappel avec un dernier titre. Les lumières se rallument doucement tandis que les speakers du Club continuent de vrombir timidement sous les sifflements de chansons douces et indéniablement Folk. Certains s’attendent à un 3ème rappel qui n’arrivera pas… Ne poussons pas le bouchon plus loin le set à quasiment atteint l’heure et demi tout de même. Pas mal pour une performance solo.

 

On l’oublie bien souvent, mais nous sommes à une époque ou le côté #Pagan/#Viking/#n’importe quelle production issue de la Nordique United (grosso modo, des pays nordiques ou s’assimilant à des sonorités traditionnelles ou évocatrices de contrées ou l’on mange le saumon autant que les boulettes de rennes hormis le Ikea de votre grosse ville de proximité), fait vendre. Un populisme de style, provoquant de facto un opportunisme vendeur. Boosté aussi bien par les productions du 7e Art que de l’imaginaire collectif et du syndrome de la contre-culture populaire à chercher la représentation du “cool” . Coucou Vikings et consorts !

Il convient de rappeler qu’Eivør présente sur les planches depuis plus de deux décennies, reste l’une des pionnières non pas d’un genre, mais un pan de la culture de son pays. Un export et une publicité sonore comme touristique qu’elle véhicule avec son personnage, mais aussi et surtout de par ses sonorités. Rock, électroniques et traditionnelle en faisant entrechoquer le moderne et l’historique à coup de kicks dans son immense pédalier.

Sans pour autant être un pastiche décoratif désireux de recréer une époque troglodyte ou se parfaire dans des accoutrements et maquillages d’époques, Eivør est juste une superbe chanteuse encrée dans son temps et que délivre des chansons pures, dans diverses langues et à travers diverses formes et outils, qu’ils soient numériques, analogiques ou traditionnels. Et à chaque fois, elle brise la glace. Eivør ne vend pas un style de musique ou pire, de vie désormais vu et revu. Elle offre une vision traditionnelle et régionale en exploitant l’intégralité de sa voix et des instruments modernes à sa disposition.

Une superbe voix, une de celles qui sortent encore des sentiers battus qui n’admets que très peu de failles. Un superbe concert tout simplement. Alors plutôt que de subir durant des mois la nouvelle et très prochainement insupportable version 2.0 de « Libérée, délivrée » (qui devrait à date de lecture de ce texte, être déjà paru en Blu-Ray, DVD et même VHS pour les plus “perdus” d’entre-vous), passez leur du Eivør à la place !

 

Total
0
Shares
Related Posts