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INTERVIEW : MNNQNS

Sensation Rock : Depuis ces derniers mois, la vie s’est vraiment accélérée : deux EP, un album très attendu, une tournée très dense, des chroniques dithyrambiques de la part de la presse… Tout est allé très vite, comment vous vivez cette frénésie au quotidien ? Est-ce que ça vous fait peur, est-ce que ça vous touche, est-ce que c’est quelque chose qui vous fait plaisir, cette forme de reconnaissance ? 

Grégoire (batterie) : Eh bien oui, ça fait forcément plaisir de toute façon. Ce serait bizarre de… Enfin, je vois ça d’une manière un peu spéciale, quand tu fais de la musique et que tu espères secrètement que l’on n’en parle jamais, je trouve ça, je ne sais pas si ça existe vraiment. Mais c’est cool. Après, le truc de l’accélération, ça fait plusieurs fois qu’on nous le demande mais en fait nous on a un rythme un peu décalé par rapport à une sortie de l’album parce que tu vois, nous on l’a vécu le moment de l’album il y a un an, quand on l’a préparé, donc là ça sort et on est déjà sur une autre dynamique; c’est un phénomène qui aide à ne pas se mettre trop de pression, on vit le truc sereinement.

 

Sensation Rock : Par rapport à cet album justement, vous en aviez parlé sur votre page Facebook comme « d’une créature étrange ». Vous le considérez comment maintenant, quelques semaines après sa sortie, vous avez toujours la même impression ? 

Adrian (chant) : Je pense que oui, on le voit toujours de cette manière-là, on a voulu faire un truc qui soit à la fois accessible et chelou. Et oui je pense que ca reste un bon qualificatif pour cet album-là. Le fait est que ça fait déjà un an qu’il est prêt cet album, donc on a eu le temps de ne pas l’écouter entre temps, de le réécouter, d’aimer les chansons, de ne plus pouvoir les entendre, de les aimer à nouveau (rires), donc oui il y a beaucoup d’étapes qui se sont passées. ça reste une créature un peu bizarre. 

 

Sensation Rock : Et justement, par rapport à cette création, vous avez dit dans une interview pour les Inrocks cet été que si vous ne faites pas un nouveau morceau tous les trois jours, vous avez des attaques de tremblements, vous ne vous sentez pas très bien (rires). Et justement par rapport à cet album qui a mis du temps à trouver sa forme et sa voie, et ce besoin de créer sans arrêt, c’est quelque chose de paradoxal qui m’a interpellé. Comment justifier ce besoin alors qu’en même temps comme tous les groupes, je suppose que vous prenez le temps de bien faire pour que tout soit parfait ? 

Grégoire : Je pense que c’est un piège aussi de prendre trop de temps, de ne pas sortir les trucs, pour toujours les peaufiner, c’est un piège dans le sens où c’est important de sortir les trucs… Dans la musique, c’est un peu un luxe qu’on peut se permettre de sortir quelque chose, ça va s’inscrire dans un truc… C’est un peu comme par exemple faire une playlist sur Spotify, moi je fais des playlists, si j’écoute un morceau là ce mois-ci, je le mets dans la playlist du mois d’octobre et quand je regarde l’année d’après ma playlist du mois d’octobre, je me dis « ah ouais putain j’écoutais ça ». C’est un peu pareil, tu sors ton morceau et quand tu sors ton album ou ton EP, ça te permet de faire la même chose, d’avoir un regard dessus. Et ça c’est hyper important pour avancer, le pire truc c’est de se dire que ça peut être encore mieux d’attendre alors qu’en réalité tu feras peut être jamais mieux. Je pense qu’il faut sortir les trucs et les trucs suivants seront plus proche de ce qu’on aime le plus selon la période. Et le truc que tu disais de tout le temps écrire, ça fait partie du truc, c’est Adrian qui a dit ça je crois. C’est un peu dans la réalité, parce que des fois tu as des contraintes qui font que tu as des moments où tu as moins le temps d’écrire… 

Adrian : La tournée déjà ça nous prend pas mal de temps. Et c’est hyper cool, mais j’aimerais qu’on puisse avancer assez vite sur ce deuxième album aussi, d’où ce truc d’écrire des morceaux assez souvent. 

 

Sensation Rock : Vous avez des influences anglo-saxonnes qui sont très présentes et que vous défendez vraiment avec force. Pourquoi ça compte autant pour vous ces influences ?

Adrian : Je pense que c’est une musique qu’on écoute depuis très longtemps, tous les trucs british, on a été plus influencé par des choses anglaises que des choses venant de France. Je dis même pas rock français parce que je trouve le terme horrible. Mais c’est quelque chose qui fait partie de notre patrimoine génétique, on a tous les 4, avec des influences différentes pourtant, baignés dans ces trucs là assez tôt. Mais pas que british en fait, aussi des influences américaines et australiennes, je pense que c’est assez large au final. Il y a aussi ce truc de paternité de l’anglais, dans le sens où c’est un groupe que j’ai créée quand j’habitais au Pays de Galle, à Cardiff, donc c’était un peu une logique quelque part, étant en immersion dans cette culture-là, de ressortir quelque chose de marqué par l’anglais, c’était une suite un peu logique. 

Grégoire : je crois que la musique française c’est ce qu’on connaît le moins. Enfin moi perso je suis pas très connaisseur de ce qu’il s’est passé en France. 

 

Sensation Rock : Et justement par rapport à cette nouvelle scène du rock en France, dont on parle de plus en plus, comme des Last Train, Johnny Mafia, Lysistrata, la belle affiche que l’on aura ce soir à Besançon avec les Psychotic Monks et Bigger… Vous êtes en contact avec eux, vous sentez qu’il se passe quelque chose de neuf ou alors comme tu disais Adrian, le rock français tu n’y as jamais vraiment cru et c’est une appellation qui est quelque part un peu anachronique ? 

Adrian : En fait c’est un peu différent parce que les groupes dont on parle là, ce sont des groupes qui sont encore indépendants, tu vois on est pas sur des très très gros groupes encore, du coup ouais je pense que c’est, je sais pas à quel point on peut utiliser ce qualificatif de groupe français parce que ça comporte un héritage qui fait penser à tous des trucs comme Noir Désir, Téléphone… Je ne sais pas si on peut vraiment utiliser ce qualificatif là, mais par contre oui, il y a vraiment un truc qui se passe dans l’indie en France, dans le rock, même si j’ai pas envie de dire rock parce qu’au final, c’est de la musique avec des guitares ou pas d’ailleurs, regarde les Psychotic Monks, il y a un synthé sur scène, nous c’est pareil, on a plein de thèmes et d’effets un peu étranges qui sont plus proches dans la façon de faire de l’électro que du rock. Mais oui, il y a carrément un espèce de foisonnement de groupes cools un peu partout en France, ce n’est pas lié à une seule ville et c’est assez sain du coup. Mais il y a des scènes qui se développement, et je peux te parler de Rouen plus particulièrement parce que c’est de là dont on vient, et sans déconner depuis deux ou trois ans, il y a peut être vingt à trente groupes cools qui sont en train d’émerger et c’est assez grisant de se retrouver dans ce genre de situation où il y a une vraie émulsion. Et à plus grande échelle, effectivement en France, il y a ce truc là comme tu dis.

 

Sensation Rock : On est sorti de ces plaques fortes historiques, Nantes, Bordeaux… On a quelque chose de plus important et intéressant.

Adrian : Ouais et même de petits bleds, genre t’as Lysistrata qui viennent de Saintes, tu vois, c’est assez cool ce qui se passe. Et je pense que c’est le phénomène internet aussi, tout le monde peut avoir accès à absolument tout, tout le temps, et tu peux venir de je ne sais quel coin et faire de la musique très bien. 

 

Sensation Rock : Et c’est pour ça que vous aviez dit aussi dans les Inrocks vouloir fuir le rock à papa, c’est vraiment quelque chose qui vous horripile dans les références françaises et même internationales un peu plus anciennes. Qu’est-ce que vous entendiez par cette expression, vous aviez des groupes en tête ? 

Grégoire : De rock à papa ? On peut faire le hall of fame du rock à papa ? (rires) Je pense que Téléphone je les mets un peu dedans, c’est plus un phénomène de style, qui s’est passé, dans la musique qu’ils font et tu as un enrobage de rock à papa en fait, ce côté un peu rock assumé à fond, les guitares, ce cliché du rock qui nous gêne un peu. Pour moi c’est un peu ça, et on dit le rock à papa parce que c’est tout le temps les papas qui parlent de ça, des fois qui viennent nous voir et qui nous disent « Eh, vous me rappelez Téléphone » alors que non, ça n’a rien à voir (rires) Enfin bon, t’as d’autres groupes de rock à papa toi ?

Adrian : Ouais Deep Purple mais je sais que tu adores (rires)

Grégoire : Ouais Deep Purple, eh l’autre jour j’en ai mis dans le van vous aimiez bien aussi. Ça c’est vrai que c’est du rock à papa mais c’est bien. Je dis pas que téléphone c’est nul, mais c’est juste que ça ne me plaît pas. Et Deep Purple j’aime bien, mais c’est une autre époque, peut-être un peu plus légitime. Moi c’est vraiment l’enrobage, je ne sais pas si le terme est bien choisi mais tu vois, c’est tout ce qu’il y a autour dans les clichés, c’est daté en fait. C’est carrément plus à la mode, has been. Et s’il y a bien un truc dont j’ai peur, c’est d’être has been un jour. 

 

Sensation Rock : Alors vous parliez de l’influence anglaise et du Pays de Galle tout à l’heure, ça procure quel effet quand tu te retrouves à Rock En Seine cet été et que tu partages l’affiche avec des groupes comme The Cure ou Johnny Marr ? Est-ce que intérieurement, on ressent une forme de grande fierté, on se dit que finalement on est devenu collègues quelque part, que c’est l’aboutissement d’un parcours ? 

Grégoire : (rires) Collègues je ne sais pas. Encore une fois, il y a tous ces phénomènes là, ce truc là que tu dis, où tu te retrouves à monter et à jouer dans des trucs, où tu croises Johnny Marr dans le coin des artistes plutôt que ton cousin Jérémy qui a aussi un groupe, bah ce truc là tu le sens pas trop… en tous cas pour nous c’est un peu dilué, au fur et à mesure, il se passe des trucs comme ça. Je regardais souvent les affiches des festivals où on joue, et je me dis « putain il va y avoir tel groupe, ça va être trop bien, on va peut être les croiser », et quand bien même on croise quelqu’un, il ne se passe rien. Si c’est un mec que j’admire, j’ose même pas aller le voir, il ne se passe rien quoi, et au fur et à mesure en fait tu oublies un peu le truc, c’est dilué, tu fais pas trop attention. Enfin je dis ça, mais évidemment quand il y avait Johnny Marr cet été, c’était cool et en plus comme à chaque fois qu’il y a un mec connu, il est allé parler à Félix (rires). En fait je trouve que ce serait un peu se la péter de dire qu’on est collègues, mais c’est cool comme sensation, c’est grisant mais pas dans le sens où on côtoie les mêmes choses mais dans le sens où c’est cool de pouvoir croiser ces gens là, qui ont accompli de grandes choses. Bah tu vois par exemple Détonation qui est ici, on a joué l’année dernière, il y avait Melvins quand même. Là j’ai eu une sensation, un truc exclusif, j’avais regardé avant d’y aller et j’avais vu qu’ils avaient joué que genre trente fois en france, c’est un truc hyper unique tu vois. Et d’ailleurs au final c’était un peu spécial, genre y avait pas non plus 80 000 personnes, enfin je dis pas que normalement il y aurait eu ça mais tu vois, des fois tu croises des gens comme ça, pis des fois tu croises Trois Cafés Gourmands, genre même tout le temps parce qu’ils sont partout, et t’en as rien à foutre. (rires) Au final, ça dépend.

 

Sensation Rock : Je me permets de rebondir sur ça, tu dis que c’était impression de jouer le même jour que les Melvins, est-ce qu’il y a d’autres artistes comme ça où vous vous êtes dit « wow, on joue le même jour et au même endroit que ça, c’est cool » ?

Grégoire : Bah moi Johnny Marr j’ai trouvé ça quand même assez cool, c’est quand même un mec qui était dans les Smiths quoi putain. 

Félix : Oui et puis on était quand même en loges avec les Cure et Johnny Marr quoi, c’est quand même assez ouf… 

Grégoire : On a joué, il y a plus longtemps, avec Lee Ranaldo qui était dans Sonic Youth. Je me souviens qu’Adrian était un peu impressionné. Quand tu joues à un truc et qu’il va y avoir un mec que tu as toujours écouté, suivi, lu, c’est quand même ultra cool.

Adrian : Ouais et on avait fait Franz Ferdinand aussi l’année dernière, on a fait un zénith avec Franz Ferdinand. 

Grégoire : Et c’était plus spécial parce qu’on a pu discuter avec

Adrian : Pour le coup, il y a plus eu un truc de proximité, c’était vraiment cool de pouvoir parler avec lui, il nous a beaucoup renseigné et conseillé sur la marche à suivre, enfin il n’y a pas de formule magique mais sur comment gérer ton truc suite à une sortie d’albums, parce que tu as forcément beaucoup de temps de promo, de tournée, etc… Et d’arriver à anticiper l’arrivée d’un deuxième album pour ne pas être complètement séché au moment où tu dois le sortir.

 

Sensation Rock : Y a une autre influence anglaise qu’on peut ressentir, c’est The Fall et notamment sur la capacité à changer de musiciens, comment vous faites pour conserver une unité de groupe suite à ces changements fréquents ? 

Adrian : Je pense que l’unité se fait dans l’artistique, puisque la base des morceaux c’est moi. Maintenant en terme de membres, je ne sais pas exactement comment je peux répondre à cette question, mais là on est sur une formule qui à deux ans maintenant et on ressent vraiment ce truc d’unité, même humainement, à un moment je pense que si tu le ressens il n y a pas trop besoin de se poser la question. Si les deux sont là, unité artistique et humaine, c’est gagné. 

Grégoire : Josh Homme disait que l’on vire pas les gens d’un groupe, ils se virent eux-même. Et pour revenir sur The Fall, on parlait de rock à papa tout à l’heure, bah The Fall pour moi c’est l’antithèse parfaite du rock à papa. C’est tout le contraire du rock à papa, mais me demande pas d’expliquer, je me lance dans des trucs comme ça, aucune réflexion (rires).

Félix : D’ailleurs on fait une reprise ce soir dans le set, Totally Wired de The Fall.

 

Sensation Rock : Je voulais aussi parler avec vous de vos clips, notamment sur le titre If Only They Could, le clip est absolument incroyable, plein d’humour et de second degré, avec une vieille voiture qui traverse un champ… Est-ce qu’à terme, le cinéma c’est un univers qui vous intéresse, en terme de création ? 

Adrian : Je pense que oui, je ne sais pas dans quelle mesure on pourrait faire du cinéma, mais en soit que nos futurs morceaux soient associés à du cinéma c’est quelque chose qui me plairait beaucoup. Après individuellement bosser pour une BO c’est quelque chose qui à titre personnel me plairait beaucoup, de créer pour de l’image plutôt que de faire l’inverse dans des clips. 

 

Sensation Rock : Et par rapport au live, on a l’impression qu’il se passe souvent un truc genre Grégoire qui se casse la gueule sur scène, Adrian qui finit un concert avec le menton en sang… Est-ce qu’un jour vous prévoyez de faire quelque chose de vraiment spécial sur un live, tellement vous avez une capacité à vous approprier la scène et à en faire quelque chose à vous ? 

Adrian : Quelque chose un peu happening tu veux dire ? Pourquoi pas mais faut que ça rentre dans le propos, faut pas faire quelque chose qui pète plus haut que son cul. Mais on pourrait envisager des trucs peut être un peu plus, je pose ça ici sans y repenser, mais peut être un truc plus interdisciplinaire qui soit plus dans le visuel, on commence doucement à réfléchir à ces choses là, comment on peut faire en sorte que le son puisse modifier les lumières en temps réel pendant nos concerts. Je me dis que si ces choses là on peut les pousser un peu, on peut très bien arriver à faire des projections, des trucs comme ça qu’on pourra envisager à l’avenir.

 

Sensation Rock : Une dernière question, qu’on aime bien poser par curiosité. Quel est selon vous l’endroit idéal pour écouter vos morceaux ? 

Félix : Moi perso ce serait soit dans mon lit, soit dans une voiture. 

Grégoire : Moi je conseille pas vraiment de l’écouter (rires) Je ne sais pas vraiment, c’est dur comme question. C’est surtout l’humeur dans laquelle tu es qui te permet de changer le lieu. 

Adrian : On peut l’écouter partout, je pense. 

Grégoire : Ou alors c’est ça, ouais tu l’écoutes pas vraiment, tu le mets en fond dans un endroit où il y a à boire. Ou sinon, quand tu cherches à te saper avant de partir. 

Adrian : Ah ouais, j’allais dire ça aussi ouais.

Grégoire : Et sur un téléphone hein, faut pas bien l’entendre surtout (rires)

 

Sensation Rock : Merci beaucoup de nous avoir reçu, bon concert ce soir ! 

 

  • Propos recueillis par Julien Lagalice et Marion Arnal.
  • Crédits photo : Marion Arnal
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