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LESCOP + SINGE CHROMÉS, le VENDREDI 03 mars 2017, le Noumatrouff, Mulhouse (68)

En ce vendredi 03 mars, le Noumatrouff propose une affiche franco-française intrigante. Ce soir, un objet musical non identifié, en l’occurrence les locaux de Singe Chromés, prépare le terrain à un personnage au regard pénétrant, Lescop. On a bien une affiche étonnante, donc immanquable.

Le trio emmené par Denis Scheubel entre en scène alors que la salle est encore bien vide, mais les connaisseurs sont déjà là pour assister à la prestation de ce drôle d’Animal’z (orthographe emprunté au Petit Enki Bilal Illustré). Les Mulhousiens débutent leur concert par Astéroïde, un titre lent et chamanique porté par un beat incitant à l’abandon total. C’est avec cette trame électro minimaliste aux effluves de rock que ces trois hommes tricotent leur prestation de plus de 40 minutes.

Agrégées à Astéroïde, Reconciling proche du travail de Mirwais, Poisons ou On roule dans la nuit interprétée de façon dépouillée – des titres issus du premier disque (Singe chromés, 2014) – des nouveautés sont également présentées ce soir, comme L’amour unique, Néon, Your feet, Dragon colonne ou Éjection. Le chanteur joue avec son auditoire de plus en plus nombreux et échange dans un franglais faussement approximatif pour introduire des titres comme Éjection ou Poisons (morceau chanté accessoirement en français ; vous voyez le personnage ?!).

Passées d’étonnantes premières minutes, ce concert m’est de plus en plus familier. Des images et des références reviennent par vagues. Le timbre vocal, la diction hachée, suspendant de façon mécanique le dernier mot ou la syllabe finale, renvoient à l’interprète d’Osez Joséphine (notamment sur l’épileptique Éléphant ou la punchy Poisons). Ce soir, Alain Bashung s’est réincarné en rouquin quinqua capable de déclamer une poésie étrange et géniale à la fois. Et cette musique hydride n’est pas sans rappeler le dernier disque de Noir Désir, Des visages des figures.

Dominée par des rythmiques répétitives et lancinantes impulsées par le batteur Franck Yboule Richard et par le bassiste/claviériste cagoulé qu’est Mathieu Gettliffe (également frontman de Shineski), le chanteur d’âge mûr projette une couleur rock tenace tous azimuts grâce à sa 6-cordes, reconvertie en palette de delays massifs et de distos incisives. Ainsi, par petites touches (la folkeuse et aérienne Néon introduite par un harmonica) ou à la grosse truelle (la rêche Your feet et la noisy Gone qui conclut ce concert débridé) ces trois « sapajous » nous croquent et transportent sur leur planète. Ça peut dérouter au premier abord mais l’alchimie des Singe Chromés prend. C’est brillant !

Ne découvrant la bande et son univers qu’aujourd’hui, je mets la main sur une setlist à l’issue du concert afin de parfaire le présent live report. Professionnalisme oblige. À la première lecture, un sourire me parvient devant certains titres visiblement customisés pour la soirée. Il va falloir faire des recherches supplémentaires !

Pendant la vingtaine de minutes que dure le changement de plateau, une présence quasi-invisible est perceptible. Un individu tapi dans la pénombre du balcon de la grande salle inspecte la besogne. Lescop est à l’affût.

Quelques minutes plus tard, nous retrouvons le blafard vêtu d’une veste de jean et d’un foulard fendant le mur de fumée qui s’est érigé sur la scène. Une nappe de clavier diffusé par Maud Nadal ouvre ce second spectacle. Des spots rouges dansent de façon aléatoire durant l’hypnotique Écho, chanson fleuve et cotonneuse qui prend progressivement de l’épaisseur avec l’entrée de Wendy Killmann, batteur à la chevelure fantasque. Le show est clairement lancé et David Palmer prend le relai. Le titre fait mouche, notamment grâce aux sifflements entêtants et aux chœurs du bassiste moustachu Antoine de Saint Antoine (déjà présent au sein d’Asyl). On se croit parachuté au cœur des années 80, décennie certifiée avec la cold wave de Quelqu’un à qui penser, qui lorgne en direction de feu Daniel Darc ou du 3e sexe d’Indochine côté paroles.

Passée cette mise en bouche promouvant des titres piochés dans son dernier opus sorti en 2016,  Lescop poursuit avec ceux issus du 1er, dont Ljubljana et sa sombre pop. Avec La nuit américaine, Le Nouma commence à se déhancher doucement sur le répertoire de cet oiseau de nuit. On est face à l’un des titres phares au cours duquel, néons et spots virent « au bleu sacré » de rigueur. La suivante et gémellaire C’est la nuit disperse boucles électro et arpèges oniriques sur une rythmique martiale. Dans un contraste saisissant, la salle se pare des lueurs roses ; le chanteur entame alors quelques pas de danse terriblement contagieux pour le public.

 

Viennent ensuite deux titres mettant à l’honneur des femmes tout aussi complexes que les hommes décrits précédemment. Sur la pop et légère Loeiza, la diction tend de plus en plus vers celle d’Étienne Daho. Cet univers se conforte avec Mauvaise fille et Flash. Ici la guitare tenue par Cédric Le Roux devient heurtée tandis que des vagues stroboscopiques déferlent sur la salle au rythme d’un beat enlevé. On croit nager dans une discothèque interlope.

Lors de l’électro biolaysque qu’est Le mal mon ange, de puissants spots roses et verts alternent, offrant un mélange chromatique quasi-punk et recouvrant à l’instar d’une seconde peau scène et musiciens. Visuellement, l’effet provoqué est réussi.

Le concert se poursuit avec la remuante Dérangé. Lescop semble investi par le dandy atypique et noctambule qu’il décrit. Le teint blême, le regard ténébreux, parfois masqué par de puissantes arcades ainsi qu’une diction flirtant avec celle de Nicola Sirkis jouent pour beaucoup dans cette impression. S’enchaînant parfaitement à la précédente, la rythmée Suivie et son bref motif de basse rebondissant transporte une foule qui se trémousse davantage au contact de paroles pourtant peu engageantes. Largement plébiscité par Mulhouse, Marlène est un titre sonnant à s’y méprendre comme un titre d’Indochine. La métronomique Un rêve pousse un peu plus le public vers une transe, notamment grâce une guitare japonisante et frénétique lors d’un solo débridé, sur fond de nappes de synthé.

Moment attendu par beaucoup, Mathieu Peudupin (de son vrai nom) et les siens nous invitent dans La forêt. Pénétrant dans ce bois aux pratiques étranges, le groupe étire ce désormais classique dans une formule électro pop jusqu’à ce que le chansonnier quitte la scène, laissant quartier libre à ses musiciens qui bifurquent en territoire rock.

Quelques instants plus tard, la formation revient et débute son rappel avec la délicate Tu m’écrivais souvent. S’installant devant des spots bleus afin de jouer avec les faisceaux lumineux, le leader donne le départ pour Tokyo la nuit. Cette virée tokyoïte sans ambiguïté transpire la cold wave. Le groupe se fend d’un dernier titre, Le vent, dont le riff joué par la seconde guitariste, rappelle Tomber pour la France.

Grande soirée découverte pour ma part dans l’ancienne cité industrielle haut-rhinoise! Grâce des titres chantés dans la langue de Molière (à quelques exceptions près pour Singe Chromés), ces deux formations hexagonales atypiques sont capables d’invoquer les fantômes de Daniel Darc ou d’Alain Bashung et de réinvestir des univers musicaux parfois honnis, telles les cold et new wave. Sur ces friches musicales, Lescop bâtit sa carrière, s’évertuant à faire danser les nostalgiques « d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître ». Tu parles, Charles :  Internet est passé par là.

 

-Benoît GILBERT

Crédits photos : Benoît GILBERT

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