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TORTOISE + FEROCES, jeudi 2 juin 2016, La Rodia, Besançon (25)

C’était une soirée muette que ce jeudi 2 juin à La Rodia, dont la sommation consista en un “Personne Ne Chante, Personne Ne Danse”, adaptée aux deux groupes qui s’apprêtaient alors à passer. Pour commencer, Féroces, formation singulière qui en était à son premier coup d’essai dans les salles bisontines, ouvrant pour les historiques chicagoans de Tortoise.

C’est à l’issu d’une conférence sur le krautrock, retraçant avec contextualisation géographique l’histoire de ce “mouvement” depuis la musique savante d’avant-garde jusqu’aux influences contemporaines, que le public est arrivé avec beaucoup de curiosité  pour voir la prestation scénique de Féroces. Trio bisontin venant de sortir leur premier Ep au nom de Juliette, Féroces joue sur une dimension cinématographique ultra-référencée. Si guitare, basse et batterie restent les principes structurants des compositions, des éléments électroniques sont insérés par la manipulation de pads et de claviers.

La caisse claire sonne cru, d’où l’assimilation “new-wave” qui a pu être quelques fois effectuée. Mais c’est dans les décombres du post-rock que Féroces déploie ses envolées. Les lumières crépitent de bleu et de violet pendant que les samples vocaux issus de dialogues de la Nouvelle Vague sortent d’outre-tombe pour murmurer une sourde mélancolie. Ces samples, particulièrement prenants sur la version enregistrée de l’Ep, baignaient dans la masse sonore lors de ce live, leur donnant à certains moment une consonnance noisy encore plus appropriée à la perte de repères.

Certes, Personne Ne Chante, Personne Ne Danse chez Féroces, mais ce bouclier d’insensibilité cache un réconfort, puisqu’ « après tout, tout est beau. Il n’y a qu’à s’intéresser aux choses et les trouver belles ».

Ceux qui ont clos la conférence sur le krautrock (figurant parmi les héritiers toujours actifs du mouvement) succèdent au groupe bisontin, juste avant leur passage au Primavera festival (le lendemain à Barcelone), puis à This Is Not A Love Song (à Nîmes). Tortoise inaugure la tournée de leur septième album survenu après sept ans de silence. The Catastrophist est un projet qui leur a été commandé par la ville de Chicago il y a six ans, afin de rendre compte du bagage culturel et musical de la ville, nottamment celui laissé par le jazz. De jazz, il en est donc question lorsqu’on voit ce live, donnant l’impression d’être face à cinq musiciens en improvisation perpétuelle, nous mettant dans la posture d’auditeurs les surprenant dans une session de jam. Ils abordent la scène avec aisance et simplicité. Pas besoin de paroles, l’entrée dans le set est frontale, chacun passant par plusieurs instruments avec fluidité.

Comme la plongée dans leur dernier album, l’immersion dans ce live s’effectue par vagues : tout d’abord l’étonnement, ensuite l’adoucissement, et enfin la claque, l’atteinte, l’inondation de la salle par ces empilements d’instruments. Nous restons ainsi captivés lors du passage où deux batteurs se font face dans deux styles de frappe distincts, l’un semblant métrique et intellectualisé, l’autre plus furieux et instinctif.

L’album comporte du chant sur deux morceaux (Rock On, une reprise de David Essex chantée par Todd Rittmann et Yonder Blue, par Georgia Hubley de Yo La Tengo) mais nous n’en entendrons pas les couleurs durant ce live uniquement instrumental, où Gesceap lance avec intensité son lancinement de synthés tordus.

Dans la mythologie indienne, la tortue porte le monde sur sa carapace ; dans le cas de ce jeudi 2 juin, Tortoise porta toute notre attention dans la durée, démultipliant les couches de sons, laissant transparaître une joie communicative de faire de la musique un jeu d’empilement, tandis que la première partie a trahi un fort potentiel à garder en vue.

 

-Clémence Mesnier

Crédits photo : Eric

 

 

 

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